Les actrices du changement

Les actrices du changement

I l y a 60 ans, elles entraient dans l’Histoire par la grande porte. Actrices de la guerre d’indépendance, les Algériennes jouissent d’une image duale à l’international. Pourtant, si les freins perdurent pour elles, réduire le rôle des femmes dans la société algérienne relève de la caricature. Dans un pays encore « jeune », elles font bouger des montagnes !

Elles ont fait l’Histoire. Durant la guerre de libération, « ces femmes dont la majorité ne sont pas connues, s’étaient impliquées au même titre que les hommes dans la guerre », selon d’anciennes membres de l’Armée de libération nationale qui s’exprimaient dans un colloque à Alger en septembre 2012. Djouher Akrour, moudjahida, a pointé leur « polyvalence » durant le conflit. « Elles portaient les armes, faisaient à manger, posaient les bombes, ramenaient les informations et accomplissaient tout ce qui était possible pour l’indépendance et la libération de l’Algérie. »

Parmi les combattantes inscrite au Panthéon des héroïnes, Djamila Bouhired. Véritable « pasionnaria de la Révolution algérienne », son aura a dépassé les frontières. Arrêtée en 1957, l’Etat français la soupçonne d’être une militante du FLN. Elle est condamnée à mort. Elle sera finalement graciée puis libérée après la campagne menée par l’avocat Jacques Vergès, qui deviendra son mari en 1965. Une figure emblématique de la lutte algérienne mais qui permet surtout de poser un visage sur ses héroïnes de la guerre.

Paradoxe à l’algérienne

A tel point qu’il n’est pas rare d’entendre apposer à l’expression « femmes algériennes », le substantif guerrière. Justifié ou non, cette image a, pourtant, connu des soubresauts. Le 9 juin 1984, l’Assemblée populaire nationale décrète le très controversé code de la famille qui autorise la polygamie, restée, néanmoins, une pratique ultra-minoritaire (moins de 1% de la population adulte). En 2005, le président Abdelaziz Bouteflika l’assouplit légèrement « conformément à l’esprit des droits de l’Homme et de la Charia. ». Reste que les mouvements opposés au code de la famille continuent de faire pression sur les dirigeants politiques qui comme le souligne Fériel Lalami, sociologue, « ont intégré ces revendications dans leur discours.» D’autant que les associations de femmes ont épaissi leur cuir durant les années 90. La décennie noire a renforcé leur ancrage mais surtout leurs convictions.

Le poids du passé

A tel point que la femme algérienne permet bien de prendre le poul de la société algérienne. Camille Leprince, chargée de mission dans une association de solidarité internationale et réalisatrice de La fabrique algérienne, qui rassemble des projets d’artistes algériens, a passé beaucoup de temps en Algérie. Et son regard offre un éclairage nuancé sur la situation. « Dans lAlgérie, post-guerre civile, les femmes tentent de réinventer un système sclérosé. Et pour regarder le futur, ces actrices du changement le clament haut et fort. Il faut exorciser le passé. » A ce titre le combat mené par Nacéra Dutour présidente du Collectif des familles de disparus est emblématique du rôle des femmes dans l’Histoire et la mémoire de l’Algérie. « Le pays ne pourra pas aller de l’avant si il ne regarde pas le passé. » Et Camille Leprince d’ajouter, « la femme algérienne marque cette jonction entre l’avenir et le passé. »

Aller de l’avant

Une histoire particulière associée à une mémoire lourde, qui ne doit pas occulter les évolutions de la société algérienne. Car les femmes algériennes font sauter les clichés. Elles font bouger les lignes d’un pays aux verrous parfois tenaces. Un esprit de guerrière…Avec plus un taux net de 97% de participation des filles à l’école primaire et de 64,5% en secondaire contre 57,4% pour les garçons (1), la scolarisation des filles en Algérie connait une évolution croissante. Depuis l’Indépendance, l’Etat s’est efforcé d’élargir la scolarisation dès 6 ans, en faisant l’une des plus importantes du monde arabe. Autre chiffre parlant, le baccalauréat. En 2012, 500 000 jeunes se sont présentés à l’examen. Les filles étaient 61,63% contre 38,37% pour les garçons. Une étape clé, sésame pour les études supérieures. Pas étonnant à ce qu’elles investissent les bancs de la fac en masse. 60% des étudiants à l’université sont des jeunes femmes, toutes disciplines confondues. Un constat impressionnant quand on sait qu’à l’indépendance, 90% des femmes sont analphabètes.

Des entrepreneures comme les autres

Suite logique, les femmes connaissent une intégration dans le monde du travail exponentielle. Entre 1994 et 2011, le nombre des femmes actives dans le Maghreb, Algérie compris, est passé de 625 000 à 2 millions ! Fondée en 1993, l’Association des femmes algériennes chefs d’entreprise (SEVE). Nadia Habès, l’une des membres, a d’ailleurs reçu en 2013, le prix de la meilleure chef d’entreprise Femme lors du Congrès annuel du Forum mondial des chefs d’entreprise Femmes, à Marrakech (Maroc). Un exemple qui illustre bien la stature que les femmes ont pris dans une société jugée encore trop patriarcale. La première étude les concernant est parue en 2009. Editée par le CRASC, le Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle, elle recensait 3 300 femmes chefs d’entreprise en 2007, contre 1 300 en 1990. Parmi elles, 81 % sont diplômées, 16 % ont eu accès à un crédit bancaire. Les chiffres parlent d’eux-mêmes.

La politique, la clé de voûte

Si elles produisent de la richesse à travers l’entrepreneuriat, l’autre enjeu est de s’imposer en politique. De ce côté-là, également, elles font leur nid. L’Indice de la participation des femmes à la vie politique, économique, professionnelle et à la prise de décision progresse selon le rapport national sur le développement humain produit par le Conseil national économique et social et le Pnud (2). Pour la période 2000-2005, l’indice a pris 33,1%. Depuis l’ouverture démocratique et l’avènement du pluralisme, les femmes investissent davantage le champ politique, enclenchant à coup sûr l’exemplarité pour les générations à venir. En 1997 3,34% des députées étaient des femmes, en 2002, elles seront près de 7%. Ce n’est pas fini. 145 femmes ont été élues le 10 mai 2012 à l’Assemblée Populaire Nationale d’Algérie. Ramenés aux 462 sièges à pourvoir, parler de « progrès » ne relève pas de l’hyperbole. Mais plutôt de l’euphémisme…

(1) Source Unicef (2) Programme des Nations Unies pour le développement

Nadia Henni Maoulai

#N1 Djazair Magazine/ Ces femmes qui font l’Algérie

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