Aujourd’hui, le lien migration internationale des compétences et le développement du pays d’origine est reconnu et soutenu par beaucoup d’acteurs. Par l’effet de la globalisation et le développement des réseaux, la migration devient transnationale et circulatoire et permet de nouer des liens entre le pays d’origine, le pays d’accueil et le reste du monde. Cette nouvelle réalité, place la diaspora comme un acteur incontournable dans les dynamiques de croissance ouverte des pays en développement. Les pays comme l’Inde, la Chine, Taiwan ou la Corée du Sud sont des exemples de ce rôle des diasporas (Saxenian (2002).
Notre recherche souhaite compléter cette littérature du « Brain Gain » qui prône le rôle actif et positif de la migration dans le développement économique du pays d’origine par le transfert de fonds, le développement du capital humain ou la migration de retour. Il est nécessaire dans le contexte actuel, d’élargir le champ d’investigation et de s’intéresser à d’autres effets beaucoup plus concrets et mesurables, tel que l’entreprise. Notre intérêt est particulièrement porté sur l’apport de la diaspora dans le déploiement de l’investissement et de l’entrepreneuriat innovant comme levier de croissance par la création de richesse et de diversification de l’économie. En effet, les diasporas disposent de moyens financiers, de la compétence technique, sont entrepreneurs ou à la tête de grandes entreprises ou de multinationales dans le pays d’accueil et ils opèrent dans des secteurs technologiques élevés. N’est-ce pas là, une véritable opportunité pour le pays d’origine ?
Le défi des pays en développement dans ce monde globalisé et de plus en plus concurrentiel, est de se positionner sur des segments, à forte valeur ajoutée, sûrs et durables. L’Algérie comme tout autre pays aspire à asseoir une véritable stratégie de développement économique. Aujourd’hui avec un prix du baril de pétrole à moins de 50 dollars, l’Algérie a perdu, en moins d’une année, 50% de ses recettes générées à 98 % des hydrocarbures, entrainant ainsi un déficit de la balance commerciale de l’ordre de 35 %, qui équivaut, en valeur réelle, à environ 38 milliards de dollars.
Effectivement, dépendante aux exportations des hydrocarbures, l’économie algérienne est tributaire des fluctuations des prix sur les marchés internationaux. Parallèlement, comme nous l’avons mentionné dans les paragraphes précédents, des expériences démontrent l’importance et le rôle de la diaspora dans le développement du pays d’origine (Saxenian 2006, Meyer 2008, OCDE 2012, GEM 2013,…). L’Algérie n’est pas en marge des autres pays en développement. Elle a besoin de s’offrir un éventail d’opportunités et laisse entendre, ces cinq dernières années, en particulier 2015 et 2016, qu’elle compte sur la diaspora pour développer l’entrepreneuriat innovant et le transfert de la connaissance. Une perspective en vue de sortir de cette situation d’économie de rente, d’où l’intérêt actuel de participer aux programmes multilatéraux avec la France et les pays du Maghreb, comme à titre d’exemple le Programme d’aide à la création d’entreprises innovantes en Méditerranée (paceim) et le projet « DiaMed » qui s’appuient sur la combinaison des capacités innovantes du Nord, du Sud de la Méditerranée et des opportunités d’investissement au Sud comme levier de croissance économique.
L’Algérie est un pays qui dispose d’une importante communauté de compétences expatriées organisées parfois en réseaux (Invest in med 2011), comme le montre le graphique en haut .
Dans quelles mesures la diaspora algérienne intervient et pourrait participer au développement du pays d’origine ? Quelle est son rôle dans le développement de l’entrepreneuriat innovant et de l’innovation productive ? Plus concrètement, est-ce que la diaspora pourrait générer du transfert de compétence et de la création d’activité ? Ces questions se confrontent à la société algérienne, à la politique algérienne mais aussi à la politique des pays où la diaspora est installée et aux conditions de transfert depuis ces pays-là vers l’Algérie. Notre recherche menée auprès des investisseurs de la diaspora algérienne veut montrer si ces conditions-là sont propices ou antagoniques finalement, à ce rôle souhaité. Il est important de signaler qu’il y’a absence totale des données statistiques dans les administrations publiques concernant l’investissement de la diaspora en Algérie, à l’exception des seules données disponibles, que nous avons pu avoir de l’Agence Nationale de Développement de l’Investissement (ANDI), qui représente l’investissement de la diaspora de 2005 à 2008 avec seulement 25 projets réalisés pour toute la période. Cette statistique semble incomplète sur toute la période compte tenu de l’absence des données se rapportant aux années antérieures (2000 – 2005) et aux années ultérieures (2008 – 2012).
Quelle réalité sur les entrepreneurs algériens de la diaspora ?
L’objet de cet article est de présenter, à partir d’un travail de terrain, la réalité des investissements de la diaspora en Algérie et son potentiel apport dans le développement de l’entrepreneuriat productif. Par manque de données statistiques sur l’entrepreneuriat de la diaspora en Algérie, nous nous adosserons donc sur les résultats qui émanent des enquêtes réalisées à ce titre. Notre recherche a touché 174 entrepreneurs de la diaspora algérienne en activité ou en processus d’investissement. Nous avons été à la rencontre des personnes de la diaspora, dans le cadre d’une enquête qualitative et quantitative, pour les interroger sur leur parcours, leurs motivations à venir investir en Algérie, les secteurs d’activités investis, leur rapport avec les politiques publiques, les difficultés rencontrés, la relation historique avec l’Algérie, leur lieu de naissance et de formation de base. Ils ont concrètement mené des projets d’investissement en Algérie, à partir le début des années 2000, comme le montre le graphique ci-après, coïncidant ainsi, avec la loi N°1/18 du 12 Décembre 2001 ayant pour objectif de renforcer la promotion de l’investissement considéré désormais par l’État comme catalyseur et créateur de croissance et de valeur ajoutée.
Source : A. NAFA, 2015
- Des entrepreneurs jeunes et hautement qualifiés
Les nouvelles générations d’entrepreneurs et porteurs de projet de la diaspora se démarquent de leurs parents par un niveau d’instruction supérieur. Ces nouveaux immigrés ont un niveau d’études de plus en plus élevé : « le niveau scolaire des entrepreneurs issus de l’immigration maghrébine est loin d’être bas, contrairement à l’idée que l’on se fait des enfants d’origine immigrée, très souvent perçus comme des figures privilégiées de l’échec scolaire » (Madoui 2007, 12). Dans son article, l’auteur présente les résultats de ses recherches auprès des entrepreneurs issus de l’immigration en France. Ces résultats démontrent qu’ils sont nombreux à atteindre le niveau supérieur (licence/maîtrise) et même au-delà (DESS, DEA et ingénieurs). Il en est de même pour le cas de notre échantillon dans lequel, les entrepreneurs algériens de la diaspora présentent un niveau d’instruction très élevé. Nous sommes en présence d’une catégorie d’immigrés hautement qualifiés comme le montre le tableau ci-dessous.
Source : A. NAFA, 2015
Ces entrepreneurs sont jeunes et ont pour 70% moins de 45 ans, avec niveau de formation très élevé. 96% sont diplômés universitaires avec 85% d’entre eux qui ont un niveau de troisième cycle. Seuls 4% de la population enquêtée avec un niveau de baccalauréat. Nous observons en outre une disparité au niveau des spécialités avec une prédominance de diplômés en économie et sciences de gestion avec un taux de 43%, suivis des diplômés en sciences des technologies avec un taux de 35% et dont 16% sont en informatique. On retrouve, avec un taux plus faible, des spécialités telles que le droit avec 6%, les sciences médicales avec 4%, l’architecture et le génie civil et bâtiment avec 5%, l’agriculture et la biologie avec 2% ; et pour finir, la santé et le sport avec 01%. Il est a relevé que les entrepreneurs enquêtés sont pour la majorité en poste, occupés dans le pays d’accueil puisque, nous relevons que 32 % sont chefs d’entreprise, ce qui laisse apparaître l’aspect transnational de l’entrepreneuriat pour ces investisseurs, suivi des salariés avec 39 % et à moindre mesure d’autres fonctions tel que fonctionnaire et libéral (5%), consultant Freelance (7%), étudiant (9%) et seulement 3 % pour les personnes sans emploi. Ceci laisse apparaître que la motivation de retour au pays n’est pas sujette à la contrainte et à l’échec dans le pays de résidence, mais plutôt pour d’autres raisons que nous présentons ci-après :
Source : A. NAFA, 2015
Le challenge et les opportunités qu’offre le marché algérien priment sur les motivations de retour des entrepreneurs de la diaspora dans le pays d’origine. Cependant, pour les freins à l’investissement, la bureaucratie, la politique instable et la corruption, dominent chez les entrepreneurs, comme le montre clairement le graphique.
- Les TICs, l’ingénierie et le conseil aux entreprises, secteurs dominants
L’analyse des résultats de notre enquête fait apparaitre une prédominance du secteur tertiaire avec 65% des projets réalisés, suivi par le secteur quaternaire avec 28% et, en troisième position, le secteur secondaire qui regroupe 7% de l’ensemble. Comme nous pouvons le constater sur le tableau ci-après, les activités sont diverses et variées. Toutefois, nous observons une prédominance du secteur de l’informatique et des Technologies de l’information et de la communication avec un taux de 28%, suivi du secteur du conseil aux entreprises avec un taux similaire. La prédominance que nous venons de constater est justifiée par la formation de base des personnes enquêtées qui est dominée par les sciences économiques et de gestion et l’informatique ainsi que par leur expérience professionnelle dans les pays d’accueil dans ces domaines.
Sur cet ensemble, 38% considèrent que l’évolution moyenne de leurs effectifs depuis la création de leur entreprise, va de forte à très forte. Ceci nous renseigne sur le fait que plus d’un tiers sont dans une logique de croissance assez prononcée. En outre, 43% d’entreprises trouvent que l’évolution de leurs effectifs est moyenne. Si nous examinons celle-ci dans l’absolu, on se rend compte que les entreprises sont dans une position favorable et que les recrutements évoluent à un rythme constant depuis leur création sur le marché algérien. Seules 19% trouvent que l’évolution moyenne de leurs effectifs va de faible à très faible.
Il est toutefois important de revenir sur certains éléments concordant l’apport des entrepreneurs au développement du pays d’origine. En effet, les données dont nous disposons nous ne permettent pas d’extrapoler ou de généraliser à l’échelle macro. Il est néanmoins, intéressant de constater plusieurs niveaux présentant la contribution de la diaspora :
- plus de 68 % créés leur entreprise avec des fonds propres, ce qui contribue aux transferts de fonds vers l’Algérie ;
- des secteurs d’activité à forte valeur ajoutée, notamment dans les nouvelles technologies et dans l’ingénierie, ce qui contribue au transfert de la connaissance ;
- plus de 40% des entreprises exportent leurs produits et services, ce qui contribue à la diversification des exportations algériennes, constituant ainsi, une rentrée de devises pour le pays ;
- 80% génèrent un chiffre d’affaires en nette évolution, ce qui justifie, 68 % ont des projets d’extension, de partenariat en national et international ;
Nous avons également relevé l’importance de l’usage de l’innovation dans l’entreprise, ainsi, 41 % font un usage fréquent (souvent) des facteurs d’innovation qui se traduit par l’investissement dans la recherche et développement, et l’introduction de nouvelles pratiques pour se différencier et renforcer leur position sur le marché. Ceci permet d’améliorer l’offre nationale des produits et services. Le dernier point que nous relevons des résultats de cette enquête par questionnaire portant sur l’effet positif de la diaspora sur l’Algérie, est celui des emplois créés, puisque nous observons, en moyenne, une évolution et une logique de croissance assez importante par l’essentiel des entreprises en activité.
Les éléments soulevés dans cet article laissent apparaître un impact positif de l’investissement de la diaspora en Algérie. Néanmoins, compte tenu de la faiblesse de notre échantillon, il serait difficile de généraliser ses données et d’en valider la teneur. Cependant, l’enquête a produit des enseignements intéressants qui nous éclairent sur la réalité entrepreneuriale de la diaspora en Algérie. Plusieurs volés ont été traités : les aspects sociodémographiques, professionnels, motivations et freins à l’investissement, perception vis-à-vis du marché algérien, aspects organisationnels et stratégiques, le rapport à l’innovation et enfin, l’importance des réseaux dans le processus entrepreneurial de la diaspora. Certains de ces éléments ont été développés dans le cadre des études menées au Maghreb et en Algérie (Madoui, Santelli), cependant, plusieurs nouveaux éléments viennent compléter et enrichir ceux des recherches sus mentionnés. Les résultats affichent un intérêt grandissant de la diaspora pour le marché du pays d’origine, en l’occurrence, l’Algérie.
Par Aziz NAFA
Maitre de recherche au CREAD (Centre de Recherche en Économie Appliquée pour le Développement), Alger et chercheur associé au LPED (Laboratoire Population, Environnement, Développement), Marseille.
- Article paru dans le #N4 de Djazair magazine