Entretien avec Karim Moussaoui, Réalisateur du film « En attendant les hirondelles »

Entretien avec Karim Moussaoui, Réalisateur du film « En attendant les hirondelles »

La genèse du film ?

À l’orée du 21ème siècle, l’Algérie sort d’une décennie sanglante dont les traumatismes sont encore vivaces aujourd’hui. De nouveaux modes de vie et de pensée s’installent et nous vivons, en quelque sorte, sans nous soucier de l’avenir, sans perspectives, dans un état d’amnésie heureuse. Mais ce système atteint vite ses limites. Une certaine détresse qui persistait en nous, figée dans le temps, ressurgit. C’est dans ce contexte que j’ai voulu que les histoires de mon film évoluent. Trois histoires dont l’action se situe au temps présent, et qui vont se déployer sur une seule semaine, en différents lieux du pays. Le scénario est porté par une série de portraits d’hommes et de femmes aux prises avec la vie, le quotidien et l’Histoire récente de l’Algérie. Ce sont des personnages ordinaires qui vivent une vie ordinaire. Les événements auxquels ils sont confrontés sont imaginaires mais vraisemblables, inspirés par mon observation personnelle. Il ne s’agit pas ici pour moi de décrire la société, mais d’évoquer les aspects qui m’interpellent : l’endroit même où le cours du changement est bloqué.

J’ai tenté d’examiner tous les possibles auxquels nous sommes confrontés, et comment nous pouvons être créateurs de nos multiples vies.

Pourquoi ce découpage en trois récits ?

Pourquoi trois histoires ou je pourrais dire pourquoi seulement trois histoires? Parce qu’à travers les récits que j’ai choisi de mettre en image, je voulais traverser le pays dans toute sa diversité. Diversité de milieux sociaux : du couple bourgeois (Mourad) à la famille modeste (Aïcha), de la femme «émancipée» (Rasha et Lila) à la femme «traditionnelle» (Aïcha, pour autant en révolte, en souffrance), l’homme aisé ayant du vécu (Mourad) au jeune idéaliste (Djalil) ou à celui dont l’obsession est de gravir les échelons sociaux (Dahman). Cette multiplicité des personnages, avec, en marge des récits, des digressions qui révèlent ou suggèrent d’autres situations possibles, me permet d’embrasser les questions majeures qui m’interrogent dans mon pays. Les traiter en une seule histoire aurait constitué une singularité, tandis qu’en trio ils dessinent un regard global effaçant ainsi une éventuelle idée d’exception.

Justement, quels sont les personnages que vous mettez en scène ?

Qu’attendent-ils ? Je mets en scène des choix de vie en faisant se côtoyer l’aspiration à une vie meilleure à travers le désir, la volonté, la stratégie et l’accomplissement ou non de cette aspiration. Il s’agit également de représenter les relations entre hommes et femmes, la place de chacun au sein de la société. Mourad et Lila forment un couple «moderne » dans un environnement conser – vateur; Mourad et Rasha, un couple mixte. Djalil et Aïcha, issus de la classe moyenne, se rencontrent, se perdent, impuissants face à leurs désirs. La femme violée, délaissée d’abord par la famille puis par les amis et le groupe social, attend d’un homme qu’il reconnaisse son enfant « bâtard» pour que celui-ci obtienne des droits comme tous les autres citoyens : avoir une identité, aller à l’école et travailler. Elle cherche à donner un père à son fils car la législation algérienne ne permet pas à un enfant né sous X d’avoir un nom ni une identité.

Tous ces personnages sont empêchés ou s’empêchent de faire les choix de vie qu’ils désirent. Les trois situations soulignent le risque qu’il y a à renoncer à ce qui est « dans l’ordre des choses ». Même si c’est contrecœur, à l’encontre de leurs rêves ou simplement de leurs principes.

Cela aboutit au constat de l’impasse d’une situation qui a trop duré, le résultat d’un système de fonction – nement et de pensées paradoxales.

Les personnages semblent se confondre avec les paysages, les décors, avec l’Algérie toute entière…

Pour suggérer que nous disséquons un territoire, le récit nous a conduits du nord vers le sud du pays. Mes personnages évoluent dans des paysages toujours en mouvement: la banlieue et le centre-ville d’Alger, les vastes terres semi-arides des Aurès, les routes aménagées à la va-vite en relais à la faveur des récentes constructions autoroutières. Dans différents décors aussi : un intérieur bourgeois, un appartement modeste, un hôpital, un hôtel ordinaire, une boîte de nuit, une baraque dans un bidonville… Autant de lieux suffisamment divers pour rendre compte de l’Algérie d’aujourd’hui. Je ne cherche ni à enlaidir ni à embellir les lieux ou les personnages, ni surtout à souligner tel ou tel détail qui conforterait, des préjugés ou clichés. J’ai voulu que mon regard, soit une observation dynamique, agissante, parfois poétique, mais jamais définitivement tranchée.

Source : AD VITAM

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