Tahar Rahmani. Délégué général de l’ACIM«Considérer les Algériens de la diaspora comme des étrangers est véritablement un non-sens»

Tahar Rahmani. Délégué général de l’ACIM«Considérer les Algériens de la diaspora comme des étrangers est véritablement un non-sens»

Un appel a été lancé à la diaspora algérienne par le biais de la Chambre algérienne du commerce et d’industrie (CACI) France pour venir investir dans le pays d’origine. Pensez-vous que c’est un appel sincère, sérieux ? Ne vient-il pas en retard vu les nombreux projets en souffrance ?

Je ne peux que m’en féliciter, à partir du moment qu’un acteur économique comme la CACI-France met toute son énergie pour mobiliser la diaspora au service de l’Algérie. Le problème, à mes yeux, reste cependant le fait que rien n’ait été fait jusqu’à aujourd’hui pour précisément accueillir cette diaspora entreprenante. Pourtant, l’Algérie a une diaspora qui souhaite mettre son savoir-faire au service du pays, créer de la richesse, créer de l’emploi, beaucoup d’emplois même.

Pas seulement, elle est aussi porteuse d’innovation. Malheureusement, l’écosystème qui permettrait à cette diaspora de créer ses entreprises dans les meilleures conditions n’existe pas pour l’instant. Il faudrait peut-être, et c’est ce que j’ai dit à la CACI et à son président, qu’on se mette ensemble pour pousser les pouvoirs publics, à l’instar de ce qui se fait au Maroc et en Tunisie, à créer cet écosystème.

– Quels sont les problèmes auxquels est confrontée la diaspora algérienne ? Et puisque vous évoquez les expériences marocaine et tunisienne, où réside la différence ?

De ce point de vue, il y a trois éléments essentiels. Je pense qu’il faut une volonté politique. Il faut que les politiques affirment de manière forte leur volonté de voir la diaspora algérienne en Europe et singulièrement en France venir investir en Algérie en lui offrant toutes les facilités possibles pour pouvoir entreprendre en toute sécurité.

Je ne parle pas de la sécurité telle qu’on l’appréhende ici, en France, mais de la sécurité financière, de la sécurité administrative et de la sécurité foncière. Les problèmes qui se posent pour certains entrepreneurs que nous avons accompagnés depuis 5, 6 ans en Algérie, résident d’abord dans le foncier. C’est-à-dire que quand on a un terrain qu’on veut exploiter et rendre industriel, c’est d’une difficulté sans nom. Le deuxième problème est lié au financement.

On n’arrive pas à trouver de banques capables de prendre un risque avec un entrepreneur venant de l’extérieur, en l’occurrence d’Europe et de France, qui souhaite investir, en lui donnant des capacités financières. On a besoin d’un fonds d’investissement, d’un fonds de capital risque, d’un fonds qui permette à ces jeunes qui veulent investir de pouvoir le faire dans de bonnes conditions financières. Troisième problème : le labyrinthe administratif. Notre idée est de pouvoir créer un guichet unique.

On en parle à chaque fois mais cela ne se réalise pas. Cela peut exister déjà au niveau de l’ANDI qui a fait un superbe travail pour résoudre les problèmes des entrepreneurs. L’idéal serait un guichet unique spécifique à la diaspora. L’objectif est de permettre à quelqu’un qui est prêt à créer son entreprise de pouvoir le faire dans la semaine, voire dans les 48 heures, et dans les meilleures conditions.

Il ne faut pas rester trois semaines ou un mois et à chaque fois être renvoyé pour ramener tel papier ou tel autre… Nous avons eu un excellent débat, à Marseille, lors de la Semaine économique de la Méditerranée dédiée au numérique. L’Algérie était fortement représentée, ce qui est une excellente chose. Maintenant, il faut mettre cela en application. Nous avons par exemple à Alger, le parc Sidi Abdellah qui offre aux entreprises la possibilité de s’installer, notamment celles qui activent dans la high tech. Mais il faut que ce parc soit attractif.

Il y a deux parcs en Tunisie avec lesquels on travaille. El Ghazala à Tunis, qui est un parc industriel qui fonctionne excellemment parce qu’il s’est doté des meilleurs technologies qui permettent aux entreprises de travailler dans de très bonnes conditions et d’avoir un écosystème autour du numérique qui booste les entreprises. Il ne suffit pas de dire seulement que nous, on est pour le numérique et que l’Algérie s’est dotée de moyens.

– La CACI a avancé des chiffres importants : une diaspora qui compte 200 000 chefs d’entreprises avec une base financière de 200 milliards d’euros. Il a été dit que l’Algérie possède un potentiel extraordinaire…

Nous avons donné des formations au profit de toutes les agences de soutien à la création d’entreprises en Algérie. Nous avons commencé par former plus de 200 personnes pour l’Ansej en 2002, nous avons formé au profit de l’ADS pour le microcrédit, nous avons formé les gens de la CNAC, nous avons formé les accompagnateurs de l’ANDI et les gens de l’ANDPM. On a fait un gros travail. On a eu à faire à des gens extrêmement compétents, mais dont les moyens devaient être multipliés pour consolider et professionnaliser leur savoir-faire.

Dernièrement, nous avons formé des éléments de l’Agence nationale de valorisation des résultats de la recherche et du développement technologique (Anvredet) et de l’Agence nationale du parc technologique, qui est justement installé à Sidi Abdellah. Il y a des choses basiques à faire, par exemple la construction d’un accès direct qui relierait le parc à l’autoroute. Doter ce parc technologique des meilleurs moyens numériques, mis à la disposition des entreprises pour qu’elles puissent dire que s’il y a un seul endroit sur Alger ou je peux travailler, recevoir la clientèle, c’est là.

– L’enquête réalisée par l’Acim révèle que beaucoup de porteurs de projet rencontrent d’énormes problèmes. L’acte d’investir en Algérie est-il à ce point difficile ?

C’est ce que je vous disais. A ce jour, nous avons à peu près 250 porteurs de projet sur l’ensemble du Maghreb que nous accompagnons. 150 sont Marocains. Le gouvernement marocain et plusieurs institutions de ce pays travaillent sur les diasporas. Ce qui est relevé par l’ensemble des porteurs de projet et singulièrement par ceux qui veulent investir en Algérie, ce sont justement les questions que vous posez. Les porteurs de projet sont constamment confrontés à des problèmes administratifs. C’est la raison pour laquelle on dit qu’il faut un guichet unique spécifique à la diaspora pour éviter ce circuit infernal. Il faut faciliter la vie à ces entrepreneurs.

Mais pour cela, il est nécessaire d’avoir un vrai appui politique. Et la volonté politique pour accompagner les investisseurs issus de la diaspora. Il y a eu l’appel fait à travers la CACI-France. La diaspora prend acte. Il faut trouver une solu-tion aux problèmes administratifs et à ceux liés au foncier et au financement. Car on ne peut pas appeler la diaspora — et Dieu sait qu’elle importante et désire investir dans le pays d’origine — si on ne lui offre pas un minimum de conditions de sécurité pour entreprendre.

– Vous avez eu à accompagner des porteurs de projet dans les trois pays du Maghreb. Quel est le taux de réussite dans chacun des pays de la rive sud de la Méditerranée ?

Je dirais qu’au Maroc, un projet sur deux aboutis. En tout cas, dans son accompagnement, etc., je ne parle pas de la viabilité de l’entreprise. Il faut trois à quatre ans pour que l’entreprise prenne racine. On peut dire qu’une entreprise sur deux au Maroc a cette possibilité. En Tunisie, il y a une facilité qui date déjà d’un certain nombre d’années pour permettre aux entreprises d’être créées en 48 heures. En deux, trois jours une entreprise peut se créer. Le système est assez performant de ce point de vue. Même si aujourd’hui, l’environnement n’est pas ce qu’il était compte tenu du contexte politique et économique en Tunisie.

L’Algérie, elle, offre une possibilité incroyable, mais il y a un certain nombre de freins. Aujourd’hui, sur les porteurs de projets que nous avons, une quarantaine sont en cours d’accompagnement. En plus des difficultés sur le plan administratif, quand une entreprise a tout réuni, a fait son business plan, apte à pouvoir se constituer, on bute sur le financement. Ils demandent des garanties extravagantes. C’est clair : il n’y a pas encore ce soutien à la très petite entreprise (TPE) et à la PME qui soit digne de ce nom. Je parle de la diaspora bien entendu.

– Quand on crée son entreprise en Algérie, a-t-on le même traitement que tous les Algériens, surtout au regard des nouvelles lois et des nouvelles règles qui régissent l’acte d’investir ?

Quand on est Algérien de France, on n’a pas les mêmes droits que l’Algérien d’Algérie. Sur un certain nombre de points, on nous considère nous, Algériens de France, comme des étrangers. Sur la fameuse règle des 51/49%, nous nous sommes battus pour dire : ne mettez pas les très petites entreprises dans ce contexte-là.

Faites-le pour les grands groupes qui veulent investir dans des secteurs stratégiques et pour protéger évidemment la production nationale. Mais épargnez les très petites et moyennes entreprises lancées par des Algériens qui viennent de l’extérieur. Ceux-là ne les mettez pas déjà en minorité dans leur propre création.

– Et vous croyez que cela représente un vrai frein pour la création d’entreprises en Algérie par la diaspora ?

Il y a un grand nombre d’Algériens ici qui ne partent plus en Algérie à cause de cette loi. Pour ceux qui sont détenteurs de brevets et d’une innovation, la situation est plus compliquée. Avec cette règle, ils se retrouvent minoritaires dans des entreprises qui portent leurs propres créations. Ce n’est pas possible. Ce sont autant de freins qui empêchent la réalisation de l’apport considérable qui peut être celui de la diaspora algérienne qui souhaite entreprendre dans le pays d’origine. Celle-ci est beaucoup plus nombreuse en Algérie qu’au Maroc ou en Tunisie.

– Mais vu l’environnement économique, le climat des affaires, est-ce que certains n’ont pas pensé à abandonner leurs projets ?

Nous n’avons pas vu de personnes ayant pris la décision d’abandonner. C’est assez récent, on a quelques entreprises, 4 ou 5, qui fonctionnent assez bien, malgré les difficultés qu’elles ont eues pour démarrer. Je parle de celles qu’on a sélectionnées ici. Ceux qui souhaitent investir, viennent quand même pour se renseigner. Ils viennent pour nous parler de leurs projets.

Mais il y a aussi des vérités : dans leur tête aussi, il y a énormément de freins. Il y a des appréhensions. Nous, nous faisons en sorte de les lever, en leur disant : n’ayez crainte, votre projet sera suivi. Nous avons des partenaires localement. Ils ne sont pas rassurés pour autant. Quand ils font le déplacement, avec tout ce que cela comprend comme frais de voyage, hébergement et autres dépenses, ils leur disent de revenir dans trois jours, dans une semaine ou dans un mois.

Ce n’est pas possible. Il faut offrir des moyens qui puissent permettre aux entrepreneurs de créer leurs entreprises. Combien de rencontres, de réunions et de forums sur l’entreprise ont été organisés en Algérie en invitant la diaspora ? Un nombre assez important. Sauf qu’au bout du compte, rien n’a été fait concrètement. Moi je demande à voir.

– Le fait que la nouvelle Constitution ait limité, dans son article 51, l’accès aux postes de responsabilité aux Algériens issus de l’immigration n’a-t-il pas eu un effet négatif sur la volonté de la diaspora d’investir en Algérie ?

C’est consternant. Je peux comprendre qu’il y a peut être des postes auxquels on ne peut pas accéder. Mais considérer quelqu’un qui veut créer une entreprise dans son pays comme un étranger et non pas comme un Algérien qui vient investir chez lui, c’est quelque chose qui fait vraiment de la peine. Il faut entendre les Algériens de la diaspora quand on les invite à des forums. Les officiels algériens sont à chaque fois interpellés. Comment pouvez-vous nous considérer, nous qui avons une double nationalité, comme des étrangers ? On nous dit : «Non vous êtes chez vous, vous êtes les bienvenus.» Mais quand on veut lancer une entreprise, la réalité est là, on nous met en minorité.

C’est un non-sens. Je suis résident en France, mais je suis néanmoins Algérien. Pourquoi les deux poids deux mesures. C’est à rapprocher avec cet article constitutionnel qui fait en sorte qu’un certain nombre de postes sont interdits à la communauté algérienne vivant à l’étranger. Pourquoi faire ça ? Je ne connais aucun pays qui l’interdise ! Si on l’interdit à la diaspora, cela veut dire qu’on n’a pas confiance en elle.

– Que proposez-vous comme solution à ces problèmes ?

Je pense qu’il faut appliquer le principe d’égalité. Quand on est Algérien, on est Algérien point à la ligne. Ce n’est pas parce qu’on vit à l’étranger qu’on n’a pas de sentiment pour son pays d’origine. Dans ce cas-là il faut supprimer la double nationalité. Il faut que l’Algérie prenne alors ses responsabilités et dire que tout Algérien qui prend une autre nationalité n’est plus Algérien. On n’a qu’à dire ça, puis c’est fini. Il faut instaurer un régime d’égalité, il ne faut pas toucher à l’identité. Il ne faut pas toucher à la nation dans son unité.

– Demandez-vous la révision de toutes ces lois qui freinent l’acte d’investir ?

Je sais qu’en ce moment, au ministère de l’Industrie, on est en train de préparer un projet de loi sur la PME. Il faut en profiter pour introduire une règle qui concerne les membres de la diaspora en leur offrant cette facilité, avec la création d’un guichet unique leur permettant de venir investir. Je vous assure déjà que cela créera un appel d’air. Ici, tout se sait, c’est un village. Si demain, il y a à Alger un guichet unique et qu’en 48 heures on peut créer son entreprise avec toutes les facilités, on multipliera par dix ou vingt le nombre de porteurs de projet.

– Est-ce que l’apport de la diaspora est uniquement celui du savoir-faire ou est-il aussi financier ?

Les deux à la fois. Il y aura des porteurs de projets qui vont créer leurs entreprises grâce à leur savoir-faire. Ils n’ont pas beaucoup d’argent, mais apporteront leurs innovations, qui vont booster l’industrie algérienne. C’est quand même important. Et puis vous avez de l’autre côté des investisseurs potentiels qui viendront. Aujourd’hui, malgré tout, l’Algérie offre des capacités de création et développement absolument incroyables.

– Quelles sont les garanties que vous demandez pour venir investir en Algérie ?

Il faut, à mon avis, une affirmation de la volonté politique, à savoir que les gouvernants algériens sont disposés à faire de la diaspora qui souhaite investir une priorité de leur action. Moi, je ne l’ai entendu nulle part. Quand un ministre algérien vient en France, il réunit la diaspora pour nous dire : évidemment vous êtes nos enfants, vous venez, vous êtes les bienvenus, on est là pour vous aider ; mais dans les faits je n’ai jamais vu un financement, un déblocage de crédit, de foncier, etc.

Interview Said Rabia / Elwatan

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