Ces Algériens qui se reconnectent à l’Algérie après l’avoir quittée

Ces Algériens qui se reconnectent à l’Algérie après l’avoir quittée

U ne immigration peut être ressentie comme un soulagement, une opportunité ou un exil. Parfois les trois en même temps. L’Algérie est un pays qui a connu dans son histoire des vagues migratoires successives.

Le sociologue Abdelmalek Sayad évoquait « trois âges » de l’immigration algérienne. Dans les années 2000, la sociologue Myriam Hachimi Alaoui en citait un « quatrième », qui a été provoqué par la décennie noire. Observe-t-on actuellement un nouvel âge d’immigration ?

Depuis 2021, année durant laquelle on a senti une certaine réouverture des pays après la pandémie de covid-19 – qui a non seulement paralysé les voyages mais aussi freiné de manière soudaine les mouvements de population – on observe un retour de projets d’expatriation chez les Algériens.

En 2021 les Algériens représentaient la troisième immigration la plus importante vers la France. Les détenteurs de titres de séjour en France, dont le nombre actuel est de 3,8 millions, sont majoritairement algériens, marocains et tunisiens.

Les motifs principaux d’expatriation en France concernaient les études supérieures et le regroupement familial. Comme si partir d’Algérie était mû par le besoin d’espoir, de construction de futur, d’international.

Quoi après l’immigration ?

Les Algériens ont donc largement repris le chemin de l’Europe ou encore du Canada pour s’y installer. Cette réalité est commentée dans la presse mais aussi sur les réseaux sociaux. Notamment dans les groupes Facebook d’entraide.

Les conversations autour des départs de l’Algérie ne cessent d’augmenter. Toutefois, si le départ est largement souligné, on évoque peu l’installation et le ressenti après des mois voire de vie en dehors des frontières algériennes.

Au cours de nos conversations avec des Algériens installés à Paris, nous avons noté un élément important. La manière dont l’immigration choisie se transforme petit à petit sous forme d’exil. Parfois même jaillit une forme de culture de l’exil chez des Algériens qui l’acceptent et l’intègrent à leur nouvelle identité.

« Quand je suis partie d’Algérie pour rejoindre mon mari qui a une nationalité française, j’étais littéralement à bout. Je ne pouvais plus supporter l’Algérie. J’étais enceinte, j’avais perdu mon travail sans raison, il était très compliqué d’avoir accès à des soins médicaux décents. Mon frère et sa femme allaient se retrouver à la rue, faute de trouver un logement décent à louer. Bref après toutes ces épreuves, je ne rêvais que d’une chose : fuir », raconte Lydia, une Algérienne de 30 ans installée à Paris depuis trois ans.

« …j’ai redécouvert que j’étais Algérienne »

« Déjà en Algérie, je ne m’intéressais qu’à l’étranger, les cultures d’ailleurs, les opportunités professionnelles ailleurs. Je vivais dans ma bulle Internet, mon esprit n’était plus en Algérie », raconte Lydia.

 

« Mais j’admets que lorsque j’ai pu sécuriser ma famille, notamment mon enfant en France, j’ai pu changer de regard sur mon pays d’origine. J’étais même en manque de ce pays. Bien sûr c’était d’abord ma famille restée là-bas qui me manquait. Mais après je me suis surprise à vouloir revenir vers la culture algérienne. J’écoutais cheikha Rmitti et Cheb Hasni en boucle, je me suis intéressé à la littérature algérienne. Mon désir de parler en arabe ne cessait de grandir. Sans m’en rendre compte, j’ai redécouvert que j’étais Algérienne », explique encore Lydia.

Comme Lydia, beaucoup d’Algériennes et d’Algériens ont dû quitter le pays pour le retrouver. Comme si s’ancrer en Algérie n’était possible qu’à l’extérieur du pays. Mais pour ce faire, il a fallu attendre quelques mois voire quelques années pour se concentrer sur l’essence de la nationalité algérienne.

Le départ chez Lydia comme chez de nombreuses personnes fait renaître le désir d’être Algérien. L’éloignement pousse les Algériens qui migrent, à retenir seulement ce qu’ils aiment dans leur culture. Délestés des contraintes du pays, les Algériens semblent retrouver l’amour originel pour leur pays. On le voit à travers les événements autour de l’Algérie qui ont lieu à Paris, Lyon, Marseille, Montréal.

On peut citer les différents rendez-vous proposés par l’Institut du Monde Arabe en 2022 à l’occasion du 60e anniversaire de l’Indépendance de l’Algérie. Le Festival du cinéma franco-arabe qui a mis à l’honneur l’Algérie en 2022. Tous ces événements ont attiré les foules tant le manque de la culture algérienne est présent chez ces exilés.

Vivre entre deux pays permet-il l’apaisement ?

Lydia a donc trouvé un équilibre à l’égard de l’Algérie depuis la France. Depuis son pays d’installation, elle pouvait maintenir un lien à distance. S’il est hors de question pour elle de retourner vivre en Algérie, elle refuse de trop s’éloigner de ses racines ou de les couper.

Ce lien invisible s’entretient aisément depuis la France. Surtout depuis que les vols vers l’Algérie sont redevenus fréquents. On peut aussi compter sur la forte présence d’une communauté algérienne dans des villes comme Paris et Marseille. Il devient donc assez facile de retrouver le meilleur de l’ambiance algérienne sans avoir à supporter les difficultés sur place.

L’immigration peut prendre plusieurs formes dans le cœur des Algériens. Celle d’un simple renouveau comme celui d’un exil. Et encore là il existe plusieurs conceptions de l’exil.

La sociologue Myriam Hachimi Alaoui s’était intéressée en 2006, dans le cadre de ses recherches, à l’immigration de femmes et d’hommes algériens, francophones, généralement issus de milieux sociaux et économiques privilégiés, bien insérés professionnellement en Algérie et, pour la majorité d’entre eux, très investis comme acteurs de la société algérienne, qui ont dû quitter l’Algérie suite aux événements de la décennie noire.

Certes, aujourd’hui le contexte est différent, mais sa thèse « L’Epreuve de l’exil. Le cas des Algériens installés à Paris et à Montréal », souligne les grands mécanismes qui s’opèrent dans l’esprit d’Algériens qui ont choisi le départ. Un choix contraint.

De leur intégration dans la société choisie à Paris ou à Montréal, à leur manière de percevoir leur « soi » dans ce nouvel espace et de gérer le lien à leur pays d’origine. L’une des rares recherches qui se penche sur ce duel intégration/désintégration après leur arrivée à l’étranger.

« …j’ai pu voir l’Algérie telle qu’elle est »

Pour la sociologue, il existe « deux manières idéal-typiques de vivre l’exil : l’exil subi et l’exil assumé. Ces deux expériences vécues de l’exil sont tributaires de quatre dimensions : la signification du départ et le rapport à l’Algérie, l’intégration professionnelle, le rapport aux installés et le rapport à soi ».  

« L’exil tel que je l’envisage porte en lui toutes les caractéristiques à l’œuvre dans l’épreuve, en ce sens qu’il place les individus dans un entre-deux où se joue la question cruciale de la continuité de leurs identifications », explique dans sa thèse, Myriam Hachimi Alaoui.

Vivre dans un « entre-deux » et redéfinir ses identifications, Malik, 28 ans, jeune diplômé, l’a vécu. Mais le jeune homme a vécu un processus inverse par rapport à Lydia, citée plus haut.

« Au début quand j’ai quitté Alger pour poursuivre mes études en informatique, j’étais bouleversé de quitter mon pays. J’avais tout là-bas, mes amis, ma famille, ma ville que j’aimais de tout mon cœur. Mais je savais que mon avenir professionnel serait favorisé par un cursus international. Alors j’ai intégré une école en France », raconte Malik.

« Petit à petit j’ai appris à construire ma vie en France et à voir de manière plus objective l’Algérie. J’ai eu une phase de grosse nostalgie, je rentrais au pays à chaque vacance scolaire. Puis je me suis mis à regarder Alger depuis Paris et à ce moment-là je suis rentré dans une phase de colère. Je voyais tout ce qui manquait. Les opportunités d’études, professionnelles, la privation de droit, le manque d’espoir », explique Malik.

Ce n’est que quelques années après son départ que Malik s’est apaisé. Il a rencontré sa fiancée qu’il s’apprête à épouser, a trouvé son premier emploi. Toutes ces étapes l’ont aidé à changer à nouveau son rapport à l’Algérie.

« Ce n’est que quand j’ai admis que j’étais définitivement installé en France, que j’ai pu voir l’Algérie telle qu’elle est. Mon pays. Une partie de moi dont je suis fier et que je ne perdrais jamais. Je n’ai plus à être dans ce rapport de force. Lorsque je vais en Algérie, je suis un touriste algérien qui redécouvre à chaque fois son pays », confie Malik.

Le départ fait émerger les atouts de la culture algérienne

Se détacher, se rattacher. C’est plus ou moins ce que permet l’immigration algérienne. Le départ offre un nouveau regard sur son pays et par la même occasion sur soi.

C’est le cas de Sonia, 37 ans, qui est née et a grandi en Algérie. Rédactrice dans le secteur de la communication, elle a toujours refusé de travailler dans sa langue maternelle pour privilégier les expériences avec les entreprises étrangères. Arrivée en France, elle a repris des études pour compléter son cursus et obtenir une équivalence de sa longue expérience en Algérie.

Malgré ses compétences, ses expériences professionnelles et ses nouveaux diplômes, elle s’est confrontée au racisme et à la discrimination en France. Impossible de se faire embaucher quelque part.

« Après la multitude de refus que j’ai dû affronter, alors que j’avais suivi le parcours modèle, je ne pouvais effacer le fait de m’appeler Sonia et d’être Algérienne. Je me suis dit autant le transformer en atout, je me suis alors tourné vers le monde arabe pour trouver des missions. Je n’y aurais jamais pensé en Algérie », explique Sonia.

« Quand j’étais en Algérie, il n’y avait que la France, l’Espagne ou le Canada qui valaient la peine d’être valorisés. Je n’accordais aucune attention à ma culture arabe et algérienne. J’avais même oublié que j’étais arabophone. Alors quand j’ai été au pied du mur en France, j’ai tout simplement décidé de jouer sur ce que je suis vraiment. Je travaille en tant que rédactrice et traductrice arabophone depuis la France. Je n’avais jamais considéré que je fusse polyglotte, mais ma capacité à maîtriser le français, la darija algérienne, l’arabe classique et l’anglais sont des atouts. Mais il m’a fallu partir pour découvrir ces talents. C’est quand même fou ! », raconte encore Sonia.

Partir d’Algérie n’implique de tout effacer. Comme Sonia, l’exil peut offrir une ouverture d’esprit et enfin une fierté adéquate d’être Algérien. Il est finalement extrêmement difficile de voir vraiment ses qualités personnelles et son potentiel dans un pays présentant de nombreux handicaps comme une réglementation et une administration lourde et compliquée. Le manque d’emplois en raison d’un marché professionnel instable.

Il est même plus facile d’entreprendre à distance ou de réaliser des missions ponctuelles en Algérie, lorsque l’on est exempts des blocages locaux.

Le départ : la possibilité d’aider vraiment son pays ?

Une autre dimension est à souligner : cet exil qui permet non seulement de se reconnecter à son pays d’origine, mais aussi d’apporter l’aide que l’on souhaite. La pandémie, les incendies en Kabylie et au quotidien les transferts de devises et les investissements grâce aux allers retours de la diaspora ont été des occasions de recréer un lien avec l’Algérie. Depuis l’étranger, l’entraide algérienne peut exister différemment.

Que ce soit par l’envoi de respirateurs vers l’Algérie lors des pics de contamination, ou encore ces médecins d’origine algérienne basés à l’étranger qui ont proposé leur aide pour sauver des vies… On a vu que le soutien n’a été possible que parce qu’une diaspora dispose de moyens techniques et financiers à l’étranger.

De la douleur d’être loin a pu naître des élans de solidarité. Et surtout l’envie de voir avant tout l’humanité du pays, qu’il est indispensable de sauver. L’exil assumé est sans doute la chance d’une immigration plus acceptée mais aussi une aide indispensable pour réussir son installation à l’étranger.

Source : , / TSA

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