Il y a soixante ans, le 8 février 1962, une manifestation pour la paix en Algérie se soldait par neuf morts – tous syndiqués à la Confédération générale du travail (CGT) et membres du Parti communiste (PCF), à l’exception d’une victime – au métro Charonne, à Paris.
Mardi 8 février, la capitale a commémoré cet événement, devenu un symbole sanglant de la répression d’Etat. A 17 h 30, la CGT-RATP a rendu hommage aux victimes à l’intérieur de la station de métro. A 18 heures, en surface, s’est tenu un rassemblement, en présence du secrétaire national du PCF et candidat à la présidentielle, Fabien Roussel, du secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, et du président de l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS, Jean-François Gavoury.
« Je rends hommage à la mémoire des victimes et de leurs familles », a, pour sa part, déclaré M. Macron dans un bref communiqué mardi. Le chef de l’Etat est le premier président à rendre hommage aux victimes de cette manifestation pacifique. Une gerbe a été déposée au nom du président le même jour par le préfet de police de Paris, Didier Lallement, lors d’une cérémonie au cimetière du Père-Lachaise.
Un autre dépôt de gerbes sur la tombe des victimes est prévu dimanche 13 février en présence d’associations, selon la Ligue des droits de l’homme.
Charge policière meurtrière
Les jours qui avaient précédé la manifestation du 8 février 1962, une série d’attentats de l’OAS (Organisation armée secrète), opposée à l’indépendance de la colonie française, ont fait plusieurs blessés graves, dont l’un, qui visait André Malraux, a défiguré une fillette de 4 ans, Delphine Renard. Les Français se sont pourtant déjà majoritairement prononcés pour l’autodétermination de l’Algérie et les accords d’Evian proclameront bientôt, le 18 mars, un cessez-le-feu ouvrant la voie à l’indépendance.
Un bref rassemblement pacifique est alors prévu le 8 février place de la Bastille, à l’appel du Parti communiste français, du Parti socialiste unifié (PSU), de la CGT et d’autres syndicats comme la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), la Fédération de l’éducation nationale (FEN) et l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), ainsi que des organisations de gauche. Il est interdit par le préfet Maurice Papon, sur fond d’état d’urgence en vigueur depuis avril 1961. Mais les organisateurs appellent « les travailleurs et tous les antifascistes de la région parisienne à proclamer leur indignation, leur volonté de faire échec au fascisme et d’imposer la paix en Algérie ».
Des manifestants cherchant à fuir une charge policière s’engouffrent dans le métro Charonne. Une bousculade meurtrière s’ensuit, des policiers poursuivent les manifestants pour les frapper, d’autres jettent vers ceux qui tentent de ressortir les lourdes grilles qui entourent les arbres.
Des personnes bloquées par les portillons d’accès aux quais sont étouffées sous la pression, d’autres meurent le crâne fracassé sous les coups. On relèvera huit morts, dont trois femmes et un apprenti de 15 ans. Un homme mourra huit semaines plus tard de ses blessures.
De Gaulle voulait « montrer que son autorité était intacte »
Pour l’historien Pierre Vidal-Naquet, disparu en 2006, « c’est le comble de l’absurde. On a du mal à comprendre cette violence de la police alors que le gouvernement est en pleine négociation avec les représentants algériens pour un accord de paix signé un mois plus tard. Et pourtant ce fut une répression d’Etat », déclarait-il quarante ans après la tragédie. « Sans doute de Gaulle voulait-il montrer que son autorité était intacte ». Il n’avait pas non plus « intérêt à ce que le Parti communiste fasse démonstration de sa force », analysera l’historien Olivier Le Cour Grandmaison.
Ce « massacre d’Etat », selon l’historien Alain Dewerpe, sera suivi le 13 février du rassemblement de 100 000 à 200 000 personnes pour les obsèques des victimes. Il occultera longtemps dans la mémoire collective un autre drame sanglant, celui de la répression policière de la manifestation pacifique du 17 octobre 1961, au cours de laquelle plusieurs dizaines d’Algériens protestant à l’appel de la Fédération de France du FLN contre le couvre-feu décrété par le même Maurice Papon trouvèrent la mort à Paris.
Une occultation que l’historien Gilles Manceron explique notamment par le silence imposé par les autorités françaises autour du massacre de 1961 et une mobilisation moindre de la gauche française, qui n’en était pas l’organisatrice.