Alors que la loi sur la restitution d’objets au Bénin et au Sénégal sera bientôt soumise au Parlement français, un député de la majorité suggère de rendre aussi le burnous, exposé à Paris, que portait le principal opposant algérien à la colonisation française.
La proposition a pris tout le monde par surprise. En ce 24 septembre, alors que la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale étudie le texte de loi prévoyant la restitution d’objets au Bénin et au Sénégal, le député M’jid El Guerrab prend la parole. Se félicitant du consensus qui semble s’établir autour du texte, élaboré par le ministère de la Culture et présenté par la secrétaire de la Commission, la députée Marion Lenne, qui siège comme lui sur les bancs de La République en marche, il suggère : « Ne faudrait-il pas avoir une réflexion autour d’objets très symboliques, comme le burnous d’Abdelkader ? Ne pourrions-nous pas avoir une réflexion pour le restituer à l’Algérie ? »
Visiblement prise de court, la présidente de séance approuve l’initiative du bout des lèvres, estimant qu’en effet « cette réflexion doit en tout cas être menée » et qu’elle pourrait – « pourquoi pas ? » – déboucher sur un consensus.
Consensus ? C’est à voir. La question des restitutions aux pays anciennement colonisés – qu’il s’agisse d’œuvres d’art, de restes humains ou d’objets d’intérêt historique – est encore loin de faire l’unanimité en France, et la loi actuellement en discussion, qui doit encore passer cette semaine devant la commission des Affaires culturelles de l’Assemblée avant de faire l’objet d’un vote dans l’Hémicycle, le 6 octobre, concerne une liste très précise. À savoir vingt-six œuvres pillées par les troupes françaises lors du sac du palais des rois d’Abomey, en 1892, et promis au Bénin par le président français, ainsi que le sabre d’El Hadj Oumar Tall, déjà restitué au Sénégal lors du voyage officiel du Premier ministre français à Dakar, fin 2019, mais dont le transfert de propriété n’est pas encore définitif.
Un symbole
Pour le député, la restitution du vêtement de celui qui fut, au milieu du XIXe siècle, l’une des figures de la résistance à la colonisation française, « symboliserait le renouveau des relations entre les deux pays ». Chef militaire et religieux de la région d’Oran, Abdelkader a pris la tête de la guérilla contre les troupes françaises à partir de 1831 et leur a infligé quelques défaites restées célèbres. Le 21 décembre 1847, l’émir finit par se rendre aux Français qui lui promettent qu’il sera autorisé à s’exiler à Alexandrie ou à Acre. Mais ils ne tiennent pas parole et le chef de guerre se retrouve détenu en France (à Toulon, puis à Pau et au château d’Amboise).
La réputation de magnanimité et d’humanité de l’émir, qui a toujours bien traité ses prisonniers, lui vaut de nombreux appuis, en particulier celui de Victor Hugo et c’est finalement Louis-Napoléon Bonaparte, devenu président de la République, qui le fait libérer en 1852. Abdelkader part s’installer en Turquie, où il se distingue encore en protégeant la vie des chrétiens lors des violentes émeutes qui éclatent à Damas en 1860, ce qui lui vaudra d’être décoré par les Français et de recevoir de nombreux témoignages d’amitié venant des États-Unis, du Royaume-Uni ou du Vatican.
Grand pour les deux camps
Aujourd’hui encore, Abdelkader est considéré en Algérie comme le grand héros de la lutte contre la colonisation et le Musée central de l’Armée, à Alger, présente au public nombre d’objets, armes, vêtements et étendards lui ayant appartenu. Parallèlement, les Français voient en Abdelkader l’un des grands personnages de leur propre histoire coloniale. En 2012, une exposition commémorant le cinquantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie a présenté au public parisien le sabre remis par Abdelkader au duc d’Aumale lors de sa reddition, et le fameux burnous évoqué par M’jid El Guerrab fait partie de la collection permanente du Musée de l’armée, aux Invalides (dont la direction n’a pas réagi à la proposition).
« Le but n’est ni de vider les musées, ni de donner l’impression que la France se flagelle et doit porter à elle seule la culpabilité de l’histoire coloniale du monde, insiste le député. Mais je pense que nous sommes en train d’écrire une nouvelle page et que nous devons avoir conscience que nous pouvons faire des gestes qui ne nous coûtent pas beaucoup, qui peuvent même paraître anecdotiques à certains de nos compatriotes, mais qui ont une portée symbolique très forte. »
Présent lors de la restitution du sabre d’El Hadj Oumar Tall au président sénégalais Macky Sall, fin 2019, l’élu évoque « un moment d’une intensité énorme. Tous les cheikhs étaient là, tous les représentants des grandes familles. Il fallait voir ça, sinon on ne peut pas prendre conscience de ce que ça représente dans certains pays. »
Pas de loi générale
La route, toutefois, semble encore longue et à ce jour la démarche initiée par la France n’est absolument pas celle de l’adoption d’une loi générale sur le principe des restitutions, comme le souhaiteraient de nombreux dirigeants africains (à l’image du président béninois Patrice Talon, qui vient de s’exprimer en ce sens dans Jeune Afrique).
M’jdi El Guerrab veut pourtant croire que son pays va dans la bonne direction : après tout, la loi présentée en commission sur les objets béninois et sénégalais a été adoptée à l’unanimité. « Y compris par les élus de droite », fait-il remarquer, confiant.
Par Olivier Marbot/ Jeune Afrique