Interview : Mokrane Maameri, auteur de voyage autour de soi. « Mon rapport avec la réalité me concerne jusqu’au plus haut degré, j’avoue que, dire haut ce que tout le monde pense bas, c’était toujours assez conflictuel. Des malentendus, mauvaises interprétations, etc. »
Interview : Mokrane Maameri
― L’histoire d’une rencontre avec une jeune fille que le narrateur aimait…L’histoire d’une triste séparation qui vous envoie à l’écriture comme si vous y cherchez refuge et appui. (p.109), (p.110)
Le premier chapitre … alors là, oui. Ce devait être une belle histoire d’amour qui a commencé par un regard dans un espace si romantique et poétique de Paris, en l’occurrence, le fameux jardin du Luxembourg dans le quartier latin. Un lieu qui m’inspire la plupart de mes textes. A cet instant je commençais à tartiner mes premières pages de ce livre quand l’imprévu s’était produit, une sorte de providence dit-on. Je laisse le lecteur découvrir la fin car ce n’est pas triste que ça comme vous le dites pas aussi joyeuse, non plus…
― Les fonctions que vous attribuez à l’écriture constituent-elles autant de répertoires que vous mobilisez pour traiter des questions diverses ?
Comme tout écrivain observateur. Je ne sais pas. Un jour c’est là. En vue, à l’horizon. Un autre c’est ça, devant soi, à porté de main Avant ça flânait dans les parages, sans doute, mais discrètement, ça ne se découvre pas comme ça. Un pas en avant, un pas en arrière. Ça vous inspire… Les mots sont dans l’air. Faire le tri puis procéder à la trappe. J’ai eu envie d’écrire ce monde-là, ces amis, ces ennuis et ces emmerdes, dont je voyais la descendance autour de moi, dont j’étais, ces amis de ces temps-là qui ont vécu une vie de merde en enfer toute leur vie, on n’a qu’une vie, la bouse de la naissance à la mort, et la mort qui venait parfois trop vite. Cette époque. Les gens d’un village suspendu à la colline de la montagne, manipulés par des ordonnateurs dans les cases du dessus du tableau, des cases auxquelles ils n’ont rien compris. On leur a donné des semblants d’explications badigeonnées de religion pour qu’ils ne se réveillent jamais. Ça n’a pas changé. Les gens d’aujourd’hui gobent les mêmes mouches à merde quand ils écoutent les conservateurs, les polémistes et les donneurs de leçons avec leur fond de commerce divers et variés, pour assurer leur gagne pain. Finalement. J’ai voulu raconter ces pauvres gens dupés qui ont dansé en enfer avant leur heure.
― Le talent de cet écrivain que vous êtes est de nous amener, par des tiroirs différents que vous ouvrez, vers le réalisme le plus cru à une ouverture poétique. Comment vous avez-vous pu dérouler cette écriture si envoûtante, si poétique ?
Disant, au départ je m’amuse ! Quand une idée me vient en tête, je ne pense pas, je ne réfléchis pas. Je prends note, en mangeant, en marchant, dans les transports publics, au travail, au lit, dans tous les recoins de la rue, c’est ainsi. Ça coule de source. Le travail sérieux et de concentration ne vient qu’après avoir réunies ces notes pour les corriger, peaufiner et les mettre en forme. A ce moment-là je pense à tout.
Quant au réalisme, lequel ? Il y a des milliards de réalités. En ce moment je prépare la sortie d’un roman de ce genre. En tous cas quoi qu’il en soit, il me semble qu’est demeurée du mouvement réaliste la nécessité de « faire vrai » pour toucher les gens, un large public. Nombreux écrivains classiques, par exemple, cherchant un fondement scientifique au réalisme, exigent du romancier d’étudier la réalité contemporaine avec la précision des sciences expérimentales. Ils veulent que les auteurs portent un regard clinique sur la société. Ils nient l’importance de l’imagination des écrivains en soutenant que ce qui compte avant tout pour être un bon romancier, c’est d’avoir le sens du réel.
― Vous avez plusieurs statuts qui se conjuguent à la lecture de votre roman : Ils apparaissent sous des formes différentes, mais qui tournent autour de l’amour : vous accordez une place centrale à ce thème. Pourquoi ce thème vous intéresse tant. « L’amour était aussi foi. Il me rendait fort heureux en croyant à lui. Il m’inspirait la belle vie… »(p.126), puis à la p.118 : »une source d’inspiration …La fontaine laisse couler ses eaux… » .
(Rire) oui comme je l’ai écrit aussi au début du livre « l’amour est plus fort que la haine ». Enfant, ma mère me parlait beaucoup Amour en grand A. Aimer les gens, aimer les voisins, aimer ton semblable, ton différent comme tu t’aime toi-même. En fait si j’ai insisté beaucoup sur cette question d’amour c’est pour rendre hommage à toutes les femmes et en particulier aux mamans du monde entier. Vous savez, je suis issu et grandi dans une société écrasée par le poids de traditions drastique. Parler d’amour c’est comme un pêché, une honte, une gêne. Le chanteur Idir a bien résumé ce thème dans sa chanson une lettre à ma fille. Seulement, mon plus grand regret, c’est que je n’ai jamais dit à ma mère décédée, je t’aime maman.
― Comment traduit-on ce sentiment si fort quand on est en sort déçu dans ce roman ?
Ce n’est pas à moi de le dire. Ou plutôt je viens de le dire. Je ne vois pas mieux. Et puis, de toute façon, écrit-on un roman pour délivrer un message ? Certains, certaines, le font sans doute. Pas moi, je ne crois pas. Je ne suis pas assez mariole pour ça. Je raconte une histoire, heureuse ou pas. Elles sont intrinsèquement le message. Cherchez vous-même. Parce qu’au fond, si on ne le perçoit pas, s’il faut qu’en plus de l’avoir, si l’auteur donne les clefs du manoir, à quoi ça sert d’être lecteur ? C’est là qu’il est le plaisir partagé entre l’auteur et le liseur. Non ? Sinon il y en a un qui fait le boulot de l’autre. Alors non.
― Quel rôle jouent alors les femmes dans votre vie, comme Camus : un jeu, « outre le désir que j’avais d’elles, je satisfaisais l’amour que je me portais, en vérifiant chaque fois mes beaux pouvoirs » ?
Non, là je ne fais que surgir l’image du bonheur d’un adolescent, les meilleurs moments de notre vie sentimentale. Car si le narrateur du voyage autour de soi manie une pierre à un coup, moi, l’écrivain, je fais de ce roman une plume à multiples traits, et du champ littéraire un champ de bataille incertain, où les narcisses du moi ne fait que l’ombre de lui-même, par contraste, le vent d’un amour solide.
― C’est un roman qui porte une critique de l’économie (p.40), l’état social de la France (p.56), vous êtes un homme engagé ?
Un engagé ? A vous entendre prononcer ce terme (engagé), vous me donnez l’impression qu’il s’agit d’un grand mot. Vous savez, on a tous accepté le vivre ensemble dans une société civilisé à travers le prisme du contrat social, c’est une forme d’engagement. J’ajoute la première qualité d’un écrivain c’est l’observation et en tant que tel, il doit être visionnaire et renifler avant tout le monde l’état de la société dans laquelle il vit et s’il se tait alors il n’est pas écrivain, il est complice, voire coupable. Je suis en train de préparer une thèse sur l’engagement en littérature à l’université Sorbonne Paris cité portant titre « la place de soi et le rapport à l’autre » (l’altérité) dans la littérature engagée. Mon rapport avec la réalité me concerne jusqu’au plus haut degré, j’avoue que, dire haut ce que les autres pensent bas, c’était toujours assez conflictuel. Des malentendus, des mauvaise interprétations, etc.»
―Vous hissez au niveau de perfection du langage : « il ne manquerait du dit qu’un assujetti… »(p.37), »le vert à la verve », une homéotéleute ( qui rapproche des mots qui se terminent de manière identique »
Mon premier ouvrage publié est un recueil de poème intitulé Au grès des arcanes. J’ai commencé à écrire de la poésie à l’âge de 15 ans, il s’agit de la poésie libre fortement ancrée dans le monde contemporain. Elle me sert d’ailleurs souvent de matrice. Plusieurs de mes poèmes ont un sens du combat annoncent des scènes de mes futurs ouvrages. Le titre est évocateur et je suis sur le même registre sauf que les genres changent. Un sonnet, qui est une forme poétique popularisé au XVIe Siècle, paraitra dans quelques jours.
― Qui trouve-t-on dans votre bibliothèque ?
Je suis un grand lecteur d’auteurs algériens et français. Mohammed Dib, Mouloud Mammeri, Kateb Yacine, Assia Djebar et tous les classiques de la littérature française que je dévorais de lecture comme Gustave Flaubert, Emile Zola etc., grâce à eux j’ai appris à parler et à écrire le français. Mais mon livre de Chevet c’est plutôt le grain magique de Toues Amrouche, il me permet de rester toujours en contacte avec ma culture, ma langue et mes origines. Cet ouvrage pour moi c’est un livre sacré. Et d’autres. Et les albums, et l’écriture dessinée, genre BD de Riad Sattouf, l’auteur de l’Arabe du futur, et des livres et des livres de droit, une collection de codes civils, commercial et du travail puisque à la base je suis juriste, diplômé en droit.. Et des livres. Des dictionnaires, aussi des codes civils, commercial du travail etc.
― Que représente l’écriture pour vous ?
Une formidable liberté, un grand bonheur, une légèreté.
Source : © 2018 FPP. Emission Kon Lambi