P eut-on parler d’auteurs algériens d’expression française sans jeter un regard sur le rétroviseur du train qui nous embarque, berce, et, parfois nous fait perdre la tête à force d’apprécier passivement le paysage ? En effet, c’est comme on parle d’une belle façade de la maison souvent retouchée, tapissée sans dire un mot sur son architecte. Aujourd’hui, j’aimerai rendre un hommage à un pilier de la culture algérienne
A force de contrepoint, d’échos, d’errances entre les époques, les personnages et les lieux, une littérature se dégage de tous les œuvres de Taos Amrouche. Ou plutôt une culture; celle d’une temporalité difficile à saisir, parfois difficile à recueillir. Une culture des millénaires, du temps qu’on croit révolu, souvent conjugué à l’aune de l’oralité, dialectique ou de fantaisie, sans véritable moyen pour lui donner forme. Un temps en mouvement, humain, romanesque, sans rien de personnel ou de reconnaissance a priori.
Certes, chaque livre est dans cette logique de vision du monde que l’auteur veut mettre en lumière le portatif de la culture Kabyle et c’est exactement ce qu’a voulu faire cette grande dame de la littérature algérienne dans son livre intitulé « le grain magique. » Un livre dans lequel elle a recueilli, réuni et traduit des contes, poèmes et proverbes kabyles qui ont enchanté et marqué son enfance.
L’ouvrage présente donc tous les aspects d’une anthologie de chants, de proverbes, et de contes que l’auteur a reçu en langue Kabyle de la bouche de sa mère, Fadhma Aït Mansour. L’ouvrage peut être lu comme une introduction à la culture populaire d’Afrique du nord, même s’il est très loin de présenter tous les aspects du répertoire oral. On ne rend compte ici que des textes les plus longs, c’est-à-dire des contes.
Taos Amrouche entretient un rapport au réalisme que l’on peut qualifier de génétique mais un réalisme cru et l’humoristiques qui côtoient le fantastique et le merveilleux. « Si un poème, un proverbe, grâce à leur forme arrêtée, peuvent être transmis par n’importe qui, en revanche […], le choix du conteur est primordial dès qu’il s’agit d’une histoire : c’est la beauté, la composition et l’authenticité mêmes du récit qui sont en jeu, une légende pouvant être appauvrie ou enrichie selon la personne qui perpétue la tradition, une légende étant l’œuvre d’une chaîne ininterrompue de conteurs à travers le temps », écrit-elle.
Dans cet ouvrage, Taos Amrouche a restitué avec passion, dans cette anthologie tout un patrimoine, une civilisation kabyle, sa poésie, son imagination, sa sagesse à travers le miroir d’un français très pur, comme celle de l’oiseau de l’orage, qui rappelle tant le mythe de Psyché, ou le symbole des « pommes d’éternelle jouvences » cueillies au jardin de l’ogresse.
Le Grain magique, Taos Amrouche, 252 pages, éd. La découverte-poche
Par : Mokrane MAAMERI, Écrivain