Avec « La Grande Maison », le romancier Algérien, Mohammed Dib (1920-2003), hisse le réalisme littéraire au summum de son art.
Bien sûr, c’était dit, le roman est considéré par un grand nombre comme un échappatoire, une découverte de la terre inconnue et l’ouverture aux autres, en sommes, le plaisir de lecture. Mais pas que ; car il s’inscrit aussi dans une lancée réaliste : chronique de la vie quotidienne, d’une nation, d’une civilisation, d’une culture et du peuple. Tel était l’intérêt des auteurs réalistes, un courant né au début du XIXe siècle qui cherche à accrocher un large public en l’amenant à réfléchir sur l’état des lieux de la société.
La source principale de ce courant est le réel, le présent, où les auteurs vont chercher aussi bien l’intrigue de leur roman que les caractéristiques du milieu social et les traits de caractère de leurs personnages. Stendhal disait : « le roman est un miroir que l’on promène le long de la route » L’auteur d’un roman a donc le projet de donner à voir la réalité en face pour peut-être changé le monde ou du moins les mentalités.
Avec la Grande maison, parut aux Editions du Seuil en 1952, ce premier roman constitue donc le premier volet de la trilogie formée par L’incendie (1954) et Le métier à tisser (1954) , inspirée par sa ville natale, en l’occurrence Tlemcen, Mohammed Dib décrit cette réalité dans une écriture de constat de l’Algérie rurale Il a introduit pour la première fois le réalisme sur la scène romanesque, jusqu’ici exclu ; il restitua à l’Algérien la parole qui lui avait été confisquée par l’armé coloniale. Distingué, quand bien même tardivement, de nombreux Prix, notamment du Grand Prix de la Francophonie de l’Académie française en 1994, attribué pour la première fois à un écrivain maghrébin.
L’histoire se déroule dans l’Algérie de 1939, dans un quartier chargé d’histoire de Tlemcen, elle raconte la vie d’une famille nombreuse et très pauvre qui vivait dans une maison, Dar-Sbitar, une petite chambre dont Omar, le héros du roman, le fils de la veuve Aîni , un garçon d’une dizaine d’année qui ne mange pas tous les jours à sa faim, avait fini par confondre Dar-Sbitar avec une prison.
A travers de Omar, Mohammed Dib met en scène un personnage plutôt héroïque pour dénoncer la souffrance, la faim et la pauvreté. Il passe des jours à la recherche d’un morceau de pain pour se nourrir En ce sens, le personnage de Dib rappelle le protagoniste d’un texte Mouloud Feraoun, Fils du pauvre, récit devenu modèle de la littérature populaire. Tout comme Omar, Menrad Fouroulou est un jeune garçon paysan qui vit dans la misère et qui consacre toute son énergie en dépit de tous les obstacles pour devenir instituteur. Le récit de ses aventures permet au lecteur de découvrir la société Algérienne de l’époque, avec ses maux et ses vices, ses particularités et ses souffrances. Mais, loin de tomber dans une sorte de paranoïa, le texte de Dib ainsi que le livre de Mouloud Feraoun proposent des personnages débrouillards, au destin commun car poussés par le désir de s’en sortir et réussir.
La littérature rebondit en se nourrissant de ce qui la dévore
Mohammed Dib introduit dans ses fonctions littéraires une écriture proche du peuple. La description des sensations physiques, il enrichit le thème de la faim, fil rouge du texte. L’image de la pauvreté d’Omar est faite par la récurrence de métaphores et de figures de style. La grande Maison offre aussi une place charnière à la coloration des sensations physiques qui vont illustré la vision d´Omar à Dar-Sbitar.
La thématique de la faim présente dès les premières pages, illustre faits et gestes des personnages du roman en mettant en relief leur quotidien. Mohammed Dib a fait le choix d’écriture en proposant une vision des habitants de Dar-Sbitar dans tout leur amour, leur souhait, l’espoir et leur désir. La misère qui frappe durablement la Aïni, la veuve et ses trois enfants et la grand-mère de ces derniers est significative; la faim et les problèmes à surmonter pour se procurer un morceau de le pain.
En avançant dans la lecture, on voit se tisser des images physiologiques, la thématique de la faim se déploie spatialement jusqu’à devenir une obsession à tous les personnages. Les enfants ne se préoccupent plus des jouets, des fables ou de l’école. Ils se tournent plutôt autour des aliments qu’ils ne peuvent pas se procurer, ils errent dans les rues à longueurs du jour. La thématique de la faim est omniprésence. Elle culmine avec la personnification de la thématique qui se substituer à Aïni, mère d’Omar : Mère aimante, Mère jouant se substitue le rôle d’homme. Mohammed Dib avec sa plume de génie met en évidence ce monde réel. Et en cela, on peut dire que la littérature rebondit en se nourrissant de ce qui la dévore.
Dar-Sbitar, entre espoir et dérision acide
Dans La grande Maison, Mohammed Dib propose une architecture complexe. Dar-sbitar cette maison où s’entassaient, un grand nombre de familles, couloirs et toilettes commune, est souvent décrite par la métaphore. En effet, elle concentre la vie d’une ville algérienne. Mohammed Dib, va donc du particulier au général. Cet endroit où s’entasse la diversité, garde pourtant une unité, une solidarité de ses habitants face aux menaces extérieurs. Mais Omar, le protagoniste du roman, Dar-Sbitar symbolise un des deux termes d’une dichotomie romanesque, à savoir : l’espoir et la dérision acide. La vie à Dar-Sbitar étouffe Omar c’est pourquoi il a choisi la rue. La rue évoque pour lui le lieu d’épanouissement et de liberté, être et avoir. Et c’est bizarrement dans la rue que le garçon commencera à réfléchir aux valeurs, comme celles de vivre ensemble, aider les autres et réveiller les consciences.
Vitupérations cultes
À la faim abominable s’ajoute la soif de désir, Omar est privé de liberté et de justice. Mohammed Dib tisse finement les aventures d’Omar. Et à travers Omar, il dénonce les faits dévastateurs de l’armé colonial qui provoque la souffrance d’un peuple. Ainsi, le passage qui retrace le quotidien d’Aïni pour subvenir au besoin de ses enfants est déclencheur de soif de cette justice. Il régnait un climat absurde. En effet, l’enseignement colonial impose la langue française dont certains dénoncent un axe paradigmatique de l’oppression. Omar commence à développer une pensée de révolte en surprenant M Hassan le maître d’école à parler en arabe critiquant le système de la langue imposée. « Ça n’est pas vrai, fit-il, si on vous dit que la France est votre Patrie ». p.20-21
Cet épisode marque un tournant dans la vie d’Omar. La prise de conscience de la réalité dans laquelle, il vit, permet l’évolution intellectuelle d’Omar qui sort doucement de son enfance et vivre un engagement au début de la guerre loin de Dar-Sbitar (…) il vire dans une vitupération culte contre ses bourreaux.
Par : Mokrane Maameri
Écrivain