Ouvrir et libérer le marché algérien, miser sur le secteur privé pour diversifier des revenus trop exclusivement pétroliers, tel est le credo officiel depuis les années 1990. Mais les aléas du capitalisme ont régulièrement réveillé les réflexes de l’économie étatique d’inspiration socialiste adoptée après l’indépendance : crise de la dette ayant engendré une obsession parfois contre-productive du non-endettement, scandale Khalifa qui a poussé à fermer des secteurs stratégiques à la libéralisation, affaire Cevital qui a caractérisé la méfiance des autorités vis-à-vis des pouvoirs émergents du secteur privé, etc.
« Pour que l’ajustement graduel fonctionne, il faut qu’il soit accompagné d’un programme de réformes destinées à lever les freins au développement du secteur privé. Or la stratégie d’ensemble manque encore de visibilité […] Plus le temps passe, plus les marges de manœuvre se réduisent », soulignait une note de BNP Paribas en 2016 alors que le gouvernement présentait un énième « Nouveau modèle de croissance ». Les propositions ne manquent pas, et les constats et solutions élaborés par les think tanks libéraux rejoignent souvent les mesures prônées par le gouvernement lui-même.
Révolution monétaire
La monnaie en Algérie est fragile, soumise à un régime de « flottement dirigé » peu compatible avec la libre convertibilité qui caractérise le système international, manquant de transparence et facteur d’inflation masquée. Pour 122 dinars l’euro à la banque, on en obtient 190 au marché noir. Plutôt que de maintenir le cours de la monnaie en puisant dans ses réserves de change et par d’insuffisantes dévaluations, « il faut établir la libre convertibilité du dinar pour rapprocher taux officiel et taux parallèle, avance Ammar Belhimer, professeur de droit et journaliste. Cela mettra à nu les carences de notre économie en frappant en premier lieu les classes populaires et moyennes, mais même les plus patriotes des patrons de gauche que je connais le recommandent ».
Chambardement bancaire
Le système bancaire doit aussi être réformé, préconise le réseau Nabni (Notre Algérie bâtie sur de nouvelles idées) dans son Plan d’urgence 2016-2018. Les sociétés publiques qui le dominent doivent « remettre la fonction de gestion du risque de crédit au centre de l’activité bancaire », leur capital doit être ouvert au privé et « l’intervention de l’État actionnaire se limitera à la nomination d’administrateurs compétents et diligents ». La réglementation doit aussi être clarifiée pour lever « la singulière discrimination informelle » qui entrave la création de banques privées. Mieux, « l’ouverture du capital des banques privées, à capitaux algériens ou étrangers, en Bourse devrait être encouragée ».
Un fonds d’avenir
Sans puissance financière en appui, tous les plans de relance proclamés resteront au stade des louables intentions. Les réserves en devises – encore une centaine de milliards de dollars – devraient servir à constituer le capital de base d’un fonds souverain au service de la diversification.
« Compte tenu de la chute des prix du baril, celui-ci pourrait aussi être alimenté par la cession en Bourse des participations (10 à 30 %) de grands opérateurs publics, recommande François-Aïssa Touazi, cofondateur du think tank Capmena. Cette stratégie permettra de dynamiser la Bourse d’Alger à travers des capitalisations boursières significatives tout en mobilisant rapidement des ressources pour alimenter ce fonds qui investirait domestiquement et à l’étranger dans des secteurs structurants pour la diversification du pays ».
Libérer les investissements
Le discours sur l’attraction des investissements directs étrangers (IDE) et la conquête de nouveaux marchés est omniprésent dans les plans gouvernementaux. Mais les cercles d’affaires regrettent que les réglementations restent contradictoires. La loi de 2009 exigeant que les étrangers limitent leurs investissements à 49 % d’une société locale a tari les IDE. Leur cadre doit être assoupli et clairement favorable.
« Pour ce qui est d’investir à l’étranger, le texte est léonin et au désavantage complet de l’entreprise. Il exige de rapatrier 100 % des dividendes avant même une décision d’affectation – en réinvestissements, réserves ou placements locaux – du conseil d’administration. Cela ne marche pas dans l’économie réelle et, si les choses évoluent un peu, elles doivent le faire plus vite et avec davantage de cohérence et de concertation avec le privé », plaide Slim Othmani, chef d’entreprise et président du Cercle d’action et de réflexion autour de l’entreprise (Care).
Se convertir au virtuel
Si Alger se targue d’avoir équipé tout le pays en fibre optique, dans le domaine de l’économie et de l’administration virtuelles, son « e-gouvernement » était classé 150e sur 185 par l’ONU en 2016. Les entrepreneurs de l’incubateur algérois de start-up Sylabs témoignent de l’investissement récent mais réel des autorités en la matière. Exemples : la numérisation du fichier d’état civil national et la possibilité de demander passeports et cartes d’identité biométriques en ligne. La déclaration fiscale par internet se met aussi en place.
Mais, rappelle Ammar Belhimer, « le nerf de cette guerre est l’e-paiement. Sans possibilité de transferts de fonds électroniques, les sites ne sont qu’une façade. Au Kenya, il n’y a quasiment plus de transferts de liquidité, tout se fait par internet. Mais, ici, les gens préfèrent protéger leur argent en liquide, chez eux ».