Festival du Théâtre arabe: « Kharif » ou le tabou du cancer selon la troupe marocaine « Anfass »

Festival du Théâtre arabe: « Kharif » ou le tabou du cancer selon la troupe marocaine « Anfass »

O RAN Sur les planches du théâtre régional d’Oran Abdelkader Alloula, la troupe « Anfass » a offert, samedi soir, au public oranais sa création « Kharif » (Automne), dans le cadre de la 9e édition du Festival du Théâtre Arabe qui se déroule du 10 au 19 janvier à Oran et Mostaganem, dans une mise en scène d’Asmaa Houri.

La pièce a été écrite par Fatma Houri,la soeur défunte de la metteur en scène. C’est le récit d’une jeune femme atteinte d’un cancer: souffrant dans son corps et davantage dans son âme, une souffrance exacerbée par l’attitude des autres envers elle, l’attitude inexplicable de son propre partenaire qui la rejette.

Dans la pièce, on découvre tout de go une jeune femme en proie à une vive agitation, comme après l’annonce d’une mauvaise nouvelle. La jeune femme ôte une perruque, elle a le crâne rasé. Ce n’est pas une « skin head », mais une femme atteinte du cancer et qui a perdu ses cheveux, tel un arbre qui perd ses feuilles en Automne, d’où l’intitulé de la pièce, mais qui peut également signifier la fin d’une vie ou l’approche de la mort, ou encore la fin d’un cycle et le début d’un autre.

Et là, on est tenté de faire une deuxième lecture. Le cancer devient la symbolique d’autres maux malins qui rongent une société , drogue, prostitution, corruption, intégrisme et mal-vie. Le cancer est encore tabou dans certaines sociétés, arabes notamment.

Il est entouré de superstition. Lorsque ce mal est nommé, on y ajoute « que Dieu nous en préserve ». Mais rares sont ceux qui osent le nommer, comme pour conjurer, faire fuir tout le mal qu’il symbolise. On l’appelle « cette chose », ce monstre hideux qui prend les vies, qui détruit le corps et aspire la sève vitale du malade.

L’annonce de la maladie provoque l’effondrement de la jeune femme. Puis il y a la perte des deux seins, des cheveux, des sourcils et des cils : une perte de la féminité et la difficulté pour la femme de faire face à elle-même, rejettant son propre corps qui ne signifie plus rien, ni pour elle, ni pour son partenaire qui s’en éloigne.

Par superstition, le cancer est perçu comme une maladie honteuse, une punition divine. Beaucoup l’acceptent comme un châtiment divin pour les méfaits commis ici-bas. Et c’est, donc, par fatalisme que les malades finissent par l’accepter et s’en faire une raison.

Bien entendu, il est surtout rejeté. La comédienne répète sans cesse: « pourquoi moi, pourquoi moi, pourquoi moi » ?

Dans « Kharif », on découvre deux comédiennes de talent. L’une, Salima Moumni, qui incarne la femme malade, est toute en silence. Véritable chorégraphe, ses gestes, ses attitudes, ses mouvements, les expressions de son visage et de son corps  sont expressifs, exprimant la souffrance physique  induite par la maladie et la souffrance morale devant sa dégénérescence, sa déchéance et la cruauté inconsciente de l’autre, qui, par superstition, la rejette comme pour se préserver d’une hypothétique contamination, ou par extrême égoïsme.

Ici l’homme devient partie prenante de la maladie, qui l’exacerbe par son cruel rejet de cette autre, sensée être une  seconde moitié.

Le jeu des comédiens fait dans l’économie des mouvements et rejette l’inutile. Il n’y a presque pas de décors, mais des bous de tissus, des vêtements de couleurs disséminés sur le plancher, devenus inutiles pour une femme malade qui n’attend plus rien d’une vie qui s’effiloche. Des couleurs suggérant l’automne, la fin d’un cycle.

Mais l’arbre, miracle de la nature généreuse, voit ses feuilles repousser au printemps. C’est le renouveau et l’espoir.

D’ailleurs, lors de la présentation de la pièce, le Directeur de la troupe « Anfass » a souligné que « Kharif » est aussi un hymne à la vie, ajoutant que le cancer n’est pas forcément la maladie, telle qu’on l’imagine, mais peut être un « cancer social », ou une « situation d’échec total et social » ou encore la mort. Mais il peut aussi signifier le début d’une nouvelle vie. La pièce, à travers le cancer, célèbre aussi la vie.

Pour sa part, le metteur en scène, Asmaa Houri, a affirmé que même si le texte avait été écrit par une personne autre que ma soeur, j’aurai été affectée de la même manière. Tout le monde est concerné et la pièce condamne l’indifférence de l’autre par rapport à la souffrance des malades du cancer et dénonce la stigmatisation de cette maladie.

Asmaa Houri a ajouté que « la pièce est un hommage à toutes les femmes qui souffrent en silence de cette maladie. Le texte original a évidemment subi des modifications afin de lui donner une forme dramaturgique et scénique conforme avec la vision de mise en scène que j’avais proposée ».

Dans ce cadre, la metteure en scène a souligné avoir opté pour une forme qui se base sur le langage du corps comme forme d’expression afin de mettre en exergue l’état psychologique du personnage.

La troupe « Anfass » a à son actif de nombreuses pièces telles que « 4:48 Psychose – 2011″, « Nta houa û 2012 » « Dmouâ b Lkhoul -2013 »,  » Hiver – 2014″, « The Spirit Level on stage – 2015 », et « Kharif – 2016 » (Automne). Cette troupe a remporté en 2013, lors du 15ème Festival national du théâtre de Meknès, cinq prix sur sept, dont le Grand prix.

 

APS

advert

No comments yet.

Leave a Reply

Inline