Sidi Fredj, aujourd’hui un complexe touristique de la capitale, hier, le lieu qui vit débarquer les troupes françaises pour s’emparer d’Alger, tient son nom d’un saint homme, Sayed El-Faradj, d’origine andalouse, qui s’y établit au début du XVIe siècle. Son histoire, peu connue, est surprenante.
Sidi Fredj ou Sayed El-Faradj, était un célèbre mystique venu des côtes d’Espagne, natif de Grenade et qui faisait partie d’un groupe d’exilés andalous expulsés d’Espagne. Il s’établit d’abord à Saguiet El Hamra (Sahara Occidental) comme beaucoup d’autres saints, avant de venir à Alger au début du XVIe siècle. Il choisit pour retraite une presqu’île solitaire-qui portera plus tard son nom- à peine fréquentée par quelques pêcheurs et par des bergers. Vivant dans la prière, l’isolement et la pauvreté, il attira vite l’attention des habitants du Sahel d’Alger qui commencèrent à fréquenter sa kheloua (lieu de retraite).
Selon d’autres sources, ce sont les populations de la région qui se proposèrent de lui bâtir une maison dans un lieu convenable, mais le saint homme préféra faire son choix tout seul. Armé de sa canne, il bâtit donc la région, à la recherche d’un lieu propice à son repos et à sa dévotion. Il descendit vers la mer, scrutant les rochers et remarqua une petite crique qui peu tout juste abriter un homme allongé. Isolée, elle est bercée par le bruit des vagues et offre un lieu idéal pour se recueillir de l’une des plus belles œuvres divines, la mer.
Sidi Fredj établit donc sa demeure dans ce lieu où il déposa les quelques effets qu’il possédait. Il se contentera d’une vie sobre et de peu de nourriture : ce qu’il cueillera dans la nature et ce que les paysans des environs lui donneront. Le reste de son temps, il le passera en méditation et en prière. Mais sa quiétude ne durera pas longtemps, on affluera de partout pour demander sa bénédiction, une prière, des conseils… Et Dieu l’écoutera, ce qui le grandit aux yeux de tous.
Beaucoup lui proposaient de s’installer ailleurs, lui offrant une vie plus opulente, la possibilité de tenir une école… mais Sidi Fredj refusera toutes les offres, préférant sa petite crique isolée où il pouvait admirer le lever et le coucher du soleil, la mer dans toute sa splendeur, le ciel immense aux teintes les plus incroyables…tant de beauté qui invitait à chaque instant de louer le créateur. En totale communion avec la nature, comme il l’a été dans le désert, le saint homme ne pouvait imaginer quitter ce lieu pour un autre, aussi somptueux puisse-t-il être.
Selon la légende, par une chaude soirée d’été, alors que Sidi Fredj dormait en dehors de sa maison, un pirate espagnole, le capitaine Rock, ou Roukko selon d’autres sources, venu s’aventurer jusqu’aux côtes du Sahel algérois avec l’intention de perpétrer quelques chapardages, amarre son bateau dans une petite crique et y aperçoit le saint homme assoupi. Il le ligotât avant même qu’il se réveille et l’enleva pour le vendre comme esclave. Il l’embarqua sur son navire, hissa les voiles et mit le cap sur l’Espagne.
Après une nuit entière de navigation, le pirate fut stupéfait de constater que son navire se trouvait toujours en vue de l’île. « Dépose moi sur la plage, lui dit avec calme Sidi Fredj, et tu pourras repartir tranquillement ». Le pirate et son équipage, troublés par ce qu’ils venaient de vivre, débarquèrent le saint personnage. Mais après une autre nuit de navigation, l’embarcation n’avait toujours pas avancé, Sidi Fredj avait laissé ses savates sur le pont. Frappé par le pouvoir du saint homme, le capitaine Rock lui demanda de lui pardonner et de le garder auprès de lui, et sans tarder, il prononça la profession de foi. Durant les années suivantes, les deux hommes vécurent ensemble, consacrant la majeure partie de leur temps à la prière et à l’adoration de Dieu, se nourrissant de poissons et de coquillages.
Selon la légende, ils moururent le même jour, à la même heure. La population d’Alger les enterra ensemble, ne voulant sans doute pas les séparer et leur bâtit une magnifique « kouba ». En 1847, les Français, voulant construire un fort sur la presqu’île, ont détruit la koubba. Les restes des deux hommes, Sidi Fredj et Sidi Roukko, ont été transférés dans un cimetière voisin. Dans un article, M. Benkhodja raconte que « quelque trois siècles plus tard, l’Akhbar, un journal francophone algérois, a évoqué dans son édition du 22 juin 1847, l’exhumation des dépouilles mortelles des saints hommes : Mercredi (16 juin 1847), Lammarque, commissaire de police du 5e arrondissement, délégué spécialement par M. le commissaire central, s’est rendu à Torre-Chica pour y faire procéder en sa présence à l’exhumation des corps du marabout Sidi-Fredj et de son ami le capitaine Sidi-Rock, qui avait été demandée par l’autorité supérieure.
P. Payer, employé à la direction de l’Intérieur, s’était joint à M. Lammarque, ainsi que plusieurs indigènes envoyés par la Grande Mosquée pour assister à la cérémonie. Aussitôt après leur arrivée à Sidi-Fredj, les deux chefs de la Grande Mosquée ont reconnu l’endroit où avaient été inhumés le saint marabout et son fidèle ami, 340 ans plus tôt. L’exhumation a commencé par les ordres et sous les yeux du commissaire. Après avoir creusé assez profondément sur le lieu indiqué, on a trouvé deux tombes fermées par deux larges pierres et c’est sous ces pierres que reposaient, depuis plus de trois siècles, sous la sauvegarde de la piété musulmane, les restes mortels des deux saints défunts.
Les ossements de Sidi-Rock ont été retirés les premiers, avec tous les soins que pouvait comporter cette délicate opération. Une particularité assez singulière, c’est que le crâne était encore, sur divers points, couvert de touffes de cheveux noirs. On a procédé ensuite, avec les mêmes soins, à l’exhumation des restes de Sidi-Fredj. Le crâne de ce dernier présentait également une circonstance assez remarquable. C’était d’être, comme celui de son compagnon, couvert, çà et là, de mèches de cheveux. La mâchoire inférieure conservait, en outre, toutes ses dents, qui étaient d’une grande blancheur et le menton présentait, de plus, plusieurs poils qui paraissaient être le reste d’une barbe blonde très forte.
Les ossements des deux célèbres personnages furent recueillis individuellement dans deux draps, et placés ensuite dans deux caisses en bois, préparées pour les recevoir. Vers midi, on hissa ces deux caisses sur un mulet et on se mit en route pour Sidi Mohamed M’ra Oued El-Aggar, où le cortège arriva vers quatre heures de l’après-midi.
Aussitôt qu’ils furent en présence de ce marabout, l’oukil de la mosquée fit, conformément à la loi religieuse, creuser deux fosses dans lesquelles furent placées les deux caisses, à la suite d’une grande cérémonie selon le rite musulman. A quatre heures, en présence de tous les assistants, le commissaire de police délégué a dressé le procès-verbal de l’exhumation et de la réinhumation des ossements de Sidi-Fredj et de Sidi-Rock, et ce procès-verbal a été signé par tous les témoins européens et indigènes qui avaient assisté à l’opération.»
Le mausolée de Sidi Fredj deviendra un lieu de visite durant longtemps, mais sera peu à peu oublié après sa démolition par les Français qui transformèrent son nom même en Sidi Ferruch. Il ne sera rétabli qu’à l’indépendance de l’Algérie.
Source : babzman