L E PLUS. Bouleversé par la situation d’Abdel Aziz Cheikh, un octogénaire sans-abri, Massinissa Dahmane, 24 ans, a décidé de l’aider. En créant une page Facebook, il a réussi à retrouver sa famille. Abdel Aziz vit aujourd’hui chez le jeune homme, mais repartira bientôt en Algérie, auprès des siens. Massinissa retrace cette rencontre hors du commun, qui l’a profondément marqué.
Il y a environ deux mois, j’ai croisé la route d’Abdel Aziz, un vieil homme sans-abri. Touché par sa situation, je l’ai pris sous mon aile, je l’ai hébergé chez moi et j’ai tout fait pour retrouver sa famille, en créant notamment une page Facebook.
Grâce à la mobilisation des internautes, il va désormais pouvoir rejoindre les siens, en Algérie.
Je voulais connaître son identité
Tout a commencé le 18 janvier dernier. Ce jour-là, je commençais un nouvel emploi au sein d’un incubateur de startup, à Paris. Pour me rendre dans mon nouveau bureau, je suis passé devant un espace de co-working ouvert à tous, situé au rez-de-chaussée de mon entreprise.
C’est là que j’ai vu un homme âgé en train de s’endormir. Il semblait faible et mal en point. Quelques secondes plus tard, il est tombé par terre et j’ai couru vers lui pour l’aider.
En m’approchant, j’ai tout de suite compris qu’il était sans-abri, car j’ai l’habitude de venir en aide aux SDF, en leur donnant un peu de monnaie, de nourriture, ou simplement en discutant avec eux.
J’ai demandé à cet homme en quoi je pouvais l’aider, mais il m’a dit qu’il n’avait besoin de rien. Il ne parlait pas très bien français et j’ai compris, à son accent et aux traits de son visage, qu’il était originaire d’Algérie, comme moi.
Je lui ai donc posé des questions en arabe, pour connaître son identité. Je voulais aussi savoir où il dormait et s’il avait de la famille. Il m’a dit qu’il s’appelait Abdel Aziz, qu’il avait environ 80 ans, qu’il dormait dehors, que toute sa famille était morte et que personne ne le recherchait. Je n’ai pas réussi à comprendre son nom de famille.
Abdel Aziz a toujours peur de déranger
Tous les jours, Abdel Aziz finissait sa nuit dans l’espace de co-working situé dans le bâtiment où je travaille. J’ai donc pris l’habitude de passer le voir, pour lui donner à boire, à manger, lui apporter de nouveaux vêtements et discuter avec lui. J’étais déterminé à lui venir en aide, mais pour cela, je devais gagner sa confiance.
Je lui proposais régulièrement de l’héberger chez moi, mais il refusait à chaque fois, car c’est un homme fier et humble, qui n’aime pas déranger.
J’ai alors tenté de l’aider autrement. J’ai demandé à un avocat de faire des recherches sur son identité et dans le même temps, j’ai publié une photo de lui sur mon profil Facebook, en précisant que je recherchais sa famille. J’ai reçu beaucoup de messages d’encouragement et mes publications ont été énormément partagées.
Avec l’aide de Sofia, une amie, nous avons ensuite créé une page Facebook dédiée à Abdel Aziz. Je voulais que les internautes m’aident à retrouver sa famille. Très vite, ma démarche a suscité de l’engouement. Certains ont même placardé des affiches dans les mairies, les commissariats et les commerces de France et d’Algérie.
J’avais peur de lui donner de faux espoirs
Pendant ce temps, je continuais à voir Abdel Aziz tous les jours. Une nuit, la température est descendue à -2°C et j’ai beaucoup pensé à lui. Le lendemain, j’ai été plus ferme que d’habitude : je lui ai dit qu’il ne dormirait plus dehors. Cette fois, il a accepté de me suivre.
Je commençais à désespérer, car les recherches n’avançaient pas. J’avais peur d’avoir donné à Abdel Aziz de faux espoirs et je commençais à culpabiliser. Cette nuit-là, j’ai craqué et je me suis mis à pleurer. C’est Abdel Aziz qui m’a réconforté.
À 4h du matin, mon téléphone a sonné : c’était l’avocat, qui me confirmait la véritable d’identité d’Abdel Aziz, ainsi que son nom de famille. J’ai alors posté une vidéo d’Abdel Aziz et de moi-même sur Facebook. Dans cette petite séquence, je lui posais des questions personnelles, afin qu’un membre de sa famille puisse l’identifier.
La soeur d’Abdel Aziz m’a appelé en pleurs
Quelques heures après la diffusion de cette vidéo, les journaux se sont emparés de cette histoire et rapidement j’ai reçu un appel : au bout du fil, une dame se présentant comme sa nièce. Je n’y croyais pas, c’était un moment grandiose.
Elle a immédiatement contacté sa famille, qui vit en Algérie. Peu de temps après, la sœur d’Abdel Aziz m’a appelé : elle était en pleurs. J’ai passé le téléphone à Abdel Aziz, qui était lui aussi extrêmement ému : il n’arrêtait pas de lever les bras au ciel en signe de joie et n’en revenait pas que des membres de sa famille soient encore vivants.
Depuis ce jour, il vit chez moi et toute ma famille l’a adopté. La cohabitation se passe très bien et nous nous sommes beaucoup attachés l’un à l’autre, à tel point qu’il ne veut pas dormir loin de moi.
Le problème, c’est qui a toujours peur de déranger : il refuse que nous le regardions manger ou d’utiliser la machine à laver, alors qu’il fait très attention à son image. Il est tellement fier que j’ai dû laver ses vêtements dans son dos !
Un homme profondément bon
Chaque jour, nous quittons la maison ensemble, pour nous rendre dans le quartier où je travaille et dans lequel il a ses petites habitudes.
Là-bas, tous les commerçants le connaissent. Ils lui donnent parfois un peu d’argent, qu’il ne garde jamais pour lui : il achète des fruits et des gâteaux, avant de les distribuer à d’autres sans-abri. C’est un homme profondément bon.
En vivant ensemble, nous nous sommes beaucoup rapprochés et petit à petit, il a commencé à se confier à moi. Il m’a raconté qu’il était arrivé à Paris alors que l’Algérie était encore française, qu’il avait fait beaucoup de petits boulots dans le bâtiment, dans la restauration et qu’il avait été marié. À cause des aléas de la vie, il s’est retrouvé dans la rue.
J’appréhende notre séparation
Depuis que sa famille a repris contact avec lui, je mets tout en œuvre pour qu’Abdel Aziz rejoindre les siens en Algérie. Je m’occupe de toutes les démarches administratives et j’ai même créé une cagnotte en ligne, pour financer ce voyage. Abdel Aziz a déjà récolté 6.000 euros !
Je ferai le voyage avec lui pour m’assurer que tout se passe bien et pour l’accompagner chez son neveu, qui a gentiment proposé de l’héberger.
En attendant, je prépare Abdel Aziz à sa nouvelle vie, en lui montrant des photos et des vidéos de l’Algérie et de son village natal. Tout a beaucoup changé, mais ces images l’émerveillent.
Je suis heureux qu’il rejoigne sa famille, mais j’appréhende la séparation : cet homme, qui était un simple inconnu, est devenu un membre de ma famille à part entière.
À travers ses regards, il me donne beaucoup d’amour. Je sais que je suis devenu une sorte de repère pour lui, car je lui ai redonné espoir. D’ailleurs, je lui ai promis de revenir le voir une fois par an. J’ai bien l’intention de garder contact avec lui.
Source : Nouvelobs / Par Anaïs Chabalie