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Il est jeune et figure parmi ces Franco-Algériens ayant décidé de « rentrer au pays ». Certains sont repartis. Lui a fait le choix de rester. « Je me sens bien chez moi en Algérie », assure-t-il. « La preuve : j’y ai rencontré mon épouse, Hind », plaisante-t-il. Lui, c’est Mohamed Skander, fondateur et dirigeant du cabinet de conseil algérien BraveHill. Timide et d’une modestie sincère, il est néanmoins actif et présent sur de nombreux fronts. L’homme est un entrepreneur 2.0, constamment connecté et accroché à son téléphone.
De Tiaret à Bordeaux
Né le 31 mai 1981 à Tiaret dans une famille dont le père est origine d’Ath Yenni, à Tizi Ouzou, il a suivi ses parents à Bordeaux, où il s’installe à l’âge d’un an. Les attaches de sa famille avec cette ville ne datent pas d’hier. Son oncle était un joueur du club local des Girondins de Bordeaux dans les années 1950.
Il passera toute sa scolarité à l’école catholique. Son intégration est facile, malgré le fait qu’il soit le seul musulman de l’établissement. « Je l’ai bien vécu », affirme-t-il. Mieux, il bénéficie d’une attention particulière de ses professeurs et camarades. À cette époque, la France était beaucoup plus tolérante qu’aujourd’hui.
L’enseignement catholique lui inculque des valeurs et des principes, « proches des nôtres », dit-il en référence à l’islam. Issu d’une famille musulmane, il hérite ainsi d’une double culture qu’il revendique et assume : « J’en tire ma force ». Mohamed Skander grandit, avec son frère et sa sœur, dans des quartiers bordelais où il côtoie de nombreux Espagnols et Portugais. Des communautés qui l’ont marqué.
École de commerce
En 1999, il obtient son baccalauréat scientifique et intègre une classe préparatoire aux grandes écoles. L’année suivante, il s’inscrit à l’EDHEC, classée dans le top 5 des écoles de commerce en France. Spécialisé en finances, il suivra ses études à Nice (Sud de la France), où il rejoint sa sœur aînée. Brillant étudiant, Skander est vite repéré. Il signe avec le prestigieux cabinet Ernst & Young (devenu EY) de Paris, avant même la fin de ses études.
Par la suite, en 2004, il entame une année de césure. Il en profite pour réaliser deux stages dans des banques, qui seront ses premiers vrais liens avec l’entreprise et le marché du travail. Activant dans les salles des marchés, il s’aperçoit de la déconnexion totale de la réalité économique. Cette expérience le dégoûte de la finance de marché et de la Bourse. Son second stage le conduit chez le géant pétrolier français Total, où il s’occupe de l’analyse des marchés pétroliers.
En 2005, il intègre la prestigieuse Stockholm School of Economics. Réputée être un vivier pour les banques de la City de Londres, Skander côtoie et apprend auprès de grands banquiers du monde. Il y découvre un nouveau système, anglo-saxon.
À la fin de la même année et après cinq ans d’études, Mohamed Skander rejoint, comme convenu, le cabinet EY et se spécialise dans l’audit. Il y apprend des méthodes qui lui servent encore aujourd’hui mais se lasse rapidement de ces « tâches mécaniques ». Il bifurque très vite vers le domaine du conseil. Sa première mission porte sur un cas qui restera gravé dans les annales de l’histoire : le scandale et faillite du géant américain de l’énergie ENRON, à l’origine de la loi « Sarbanes-Oxley » de 2002 sur les pratiques des entreprises. Il sera précisément formé là-dessus, précise Skander.
Retour en Algérie
Ayant grandi à l’étranger, le jeune entrepreneur n’a, pour autant, jamais coupé les liens avec son pays, l’Algérie. Il vient y passer des vacances en famille chaque année, « même pendant la Décennie noire », se souvient-il. Surtout, dans le cadre de son travail, il réalise des missions pour de grands comptes et institutions nationales comme la compagnie pétrolière Sonatrach ou la Banque d’Algérie.
Cet élan de rapprochement est coupé lorsqu’il reçoit une proposition de la banque BNP Paribas qui le conduit, en 2008, dans la ville suisse de Genève. Skander revient alors vers les matières premières, en s’occupant notamment de dossiers de crédits et le négoce pour des produits comme le blé, le pétrole, l’acier, le cacao, etc. Il travaille alors avec de grands pays émergents, à l’image du Brésil ou de la Russie.
Mais très vite, il veut revenir vers l’Algérie. Durant ses fonctions à la BNP et à travers ses missions dans le pays, il développe la conviction que l’Algérie peut devenir « un géant mondial des matières premières. Mohamed Skander cite notamment le domaine de l’agriculture, avec d’énormes potentialités, notamment à travers le développement et la valorisation de zones dans le Sud du pays.
Lancement du cabinet BraveHill
Il se décide alors de fonder son propre cabinet. C’est la naissance de BraveHill. Traduction littérale de « Colline des braves », ce nom se veut un clin d’œil à la région des Aurès, un des bastions de la résistance algérienne à la colonisation et fief de l’Armée de libération nationale (ALN).
Il conduit alors de nombreuses missions en collaboration avec son ancien employeur, EY. Il mène notamment un important dossier avec la Banque centrale. Il renoue ainsi avec l’Algérie, y fait des allers-retours chaque semaine. Ces missions lui permettent de tisser des liens, de développer sa connaissance du marché algérien. Il se rend vite compte de l’offre très limitée dans le conseil.
C’était alors une évidence : Skander installe son cabinet en Algérie, en 2013. « On a commencé à deux », se souvient-il. Avec sa première collaboratrice, Nawel Touzene -toujours membre de l’équipe-. Il salue son engagement : « Elle a pris un risque, car elle avait des offres de grands cabinets, mais elle a choisi BH, une startup à l’époque », confie-t-il. Son entourage et ses clients sont élogieux à son égard, certains le qualifiant de « petit génie ». Sa préoccupation pour le bien-être et la sensibilité des personnes lui vaut également la reconnaissance d’anciens (et actuels) employés. « Il met en avant ses équipes avant de parler de lui », raconte un client. « Il donne une grande liberté et autonomie à ses managers, c’est motivant », s’enthousiasment des membres de son équipe.
Sur le plan des affaires, il commence alors à recruter et développer son offre. Rapidement, ses compétences et sa réputation attirent de grands noms. Il réussit à embaucher l’ancienne directrice marketing du groupe Société Générale Algérie. Les spécialités de son cabinet ? Mettre au point des business plans, réaliser des études de marché, organiser des levées de fonds et le montage de projets, notamment.
Jil FCE
Mais le jeune homme a de nombreux projets sur le feu. Il s’implique et milite pour une modernisation profonde du fonctionnement de l’économie. Un de ses chevaux de bataille est le développement du Partenariat public-privé.
Mohamed Skander a également intégré le Forum des chefs d’entreprise (FCE). Très actif auprès des jeunes, il est l’un des fondateurs du Jil FCE, pour les jeunes entrepreneurs. Certains lui attribuent la paternité de l’idée. Surtout, son cabinet mène l’étude pour le label « Bassma Djazairia », permettant de reconnaître les produits algériens. « Je suis très heureux que ça aboutisse », dit-il fièrement. « Je l’ai fait par conviction, pour encourager la production nationale », poursuit Mohamed Skander.
En rejoignant le FCE, il retrouve de nombreuses sociétés pour lesquelles il a mené des missions auparavant. C’est le cas de l’entreprise Ival de Mohamed Bairi, à l’origine de l’usine de camions Iveco. Parmi ses clients, l’on retrouve Petroser, la Société Générale et même l’Organisation des Nations unies en Algérie.
Son ambition ? « Être acteur de la transformation de l’Algérie », déclare-t-il. Conscient de la conjoncture difficile, il perçoit néanmoins de vraies mutations en cours. « Il y a du chemin à faire », selon lui, mais ce qui se fait en Algérie est comparable à ce qu’il a pu voir à l’étranger, affirme-t-il.
Pour accompagner ces évolutions, l’Algérie doit avoir des cabinets de conseil dignes de ce nom. C’est pourquoi BraveHill ambitionne d’être à son pays, ce qu’est Lazar pour la France, ou Rolland Berger pour l’Allemagne. Mieux, son cabinet s’internationalise : Mohamed Skander a ouvert, au mois de décembre, une filiale de BraveHill en Mauritanie. Il regarde désormais vers l’Afrique de l’Ouest et d’autres pays du continent.