Les Algériens de la diaspora sont considérés comme étrangers. Pas moins d’ailleurs qu’ils ne le sont dans les pays où ils résident. S’ils arrivent à s’imposer, là-bas, par leur savoir-faire, ils sont peinés par le traitement qu’on leur réserve dans leur propre pays.
L’Algérie appelle les étrangers et sa diaspora à venir investir en masse. «Toutes les entraves seront levées.» C’est la promesse qui a été faite, début novembre à Marseille, d’abord par le consul général d’Algérie dans cette ville, puis par le président de la Chambre algérienne de commerce et d’industrie en France et représentant du Forum des chefs d’entreprise (FCE) à l’international, Kaci Aït Yalla.
Mais s’agit-il d’une véritable prise de conscience, d’un engagement sérieux qui vise à faire désormais une place pour les Algériens vivant à l’étranger, qu’ils aient la double nationalité ou uniquement un passeport algérien, ou est-ce juste une énième profession de foi ? Les Algériens de la diaspora veulent bien le croire. Ceux que nous avons croisés à l’occasion de la Semaine économique de Marseille attendent des mesures concrètes. Des promesses, disent-ils, «ils en ont eues à foison». Et les beaux discours n’ont jamais changé la réalité du terrain. Ils sont considérés comme étrangers.
Pas moins d’ailleurs qu’ils ne le sont dans les pays où ils résident. S’ils arrivent à s’imposer, là-bas, par leur savoir-faire, ils sont peinés par le traitement qu’on leur réserve dans leur propre pays. Ils en ont vraiment gros sur le cœur. Ingénieurs, entrepreneurs, créateurs de startups et autres innovateurs dans l’économie numérique ne guettent qu’un signal de la patrie d’origine pour se lancer. Les incantations les ont réellement désabusés.
Azzedine Bahou, un émigré né à Marseille est de ceux-là. Cet ingénieur électronicien, proprié-taire d’Altrace, nous parle de son retour d’expérience. «C’est avec un œil de simple citoyen que j’ai participé à la dixième session de la Semaine économique de la Méditerranée à Marseille, le thème abordé cette année était ‘‘Le numérique, pour une Méditerranée connectée’’», confie M. Bahou. Lors des exercices précédents, il faisait partie du comité de pilotage en qualité de chef de projet euro-méditerranéen pour le compte d’une collectivité territoriale française.
Azzedine Bahou est né à Marseille, dans une famille d’émigrés. «Ma famille, originaire des Aurès, a été obligée de quitter son douar pour aller trouver en France des conditions économiques plus favorables», nous dit-il. Malgré des «conditions socioéconomiques précaires», il fait ses études en France et réussit à décrocher le diplôme d’ingénieur électronicien et est spécialisé en conduite du changement par l’innovation de l’Ecole nationale supérieure des arts et métiers.
Ayant créé dans les années 1990 deux startups dans les TIC et plus particulièrement dans la technologie de la traçabilité et des pertes non techniques de l’eau et de l’électricité, Azzedine a réalisé la première application de pré-paiement de l’électricité et du gaz par carte à puce en Europe pour le compte d’EDF-GDF en 1990. «J’avais, souligne-t-il, de ce fait été amené à proposer cette technologie à Sonelgaz ces années-là». «En 1996, nous avions conçu et déve-loppé, toujours dans un processus d’innovation en Algérie, un compteur électronique avec module de télé-relève par courant porteur de ligne», précise l’ingénieur électronicien.
Mais le projet n’a pas abouti. Bahou Azzedine est resté malgré tout très positif et savant. «Je suis effectivement ce que l’on appelle un binational, ceci est un héritage de la lutte du peuple algérien pour son indépendance finalisée par les Accords d’Evian qui s’appliquent à la France et à l’Algérie», explique M. Bahou. Au-delà de l’aspect juridique de cette condition, Azzedine parle de sa perception affective de cette double nationalité et de son incidence sur sa propre expérience du partenariat technologique entre la France et l’Algérie.
«La double appartenance suscite des interrogations de part et d’autre de la Méditerranée»
«Pour être sincère, poursuit-il, cette double appartenance suscite des interrogations de part et d’autre de la Méditerranée quant à la confiance que l’on peut accorder à la double nationalité.» Etabli à Marseille, il souligne la chance qu’il a eue de voir se construire en Algérie les premières expériences de développement de l’innovation avec l’Anvredet en 2003.
«Nous avions, déjà à cette époque, proposé des solutions innovantes basées sur l’indentification par radio fréquence (RFID) des pertes non techniques de l’eau et de l’électricité en Algérie (cette étude doit exister dans les archives SICEA 2003 de l’Anvredet)». M. Bahou, qui raconte avec passion mais surtout avec nostalgie son expérience en Algérie, pense que «la création et la raison d’exister de cette agence reposent sur la volonté de l’Algérie de se doter d’un outil de développement de l’innovation, et cette initiative est à saluer».
«Le rôle de cette agence, indique-t-il, s’inspire des modèles européens et internationaux pour faciliter le passage d’une innovation de l’état de recherche à un produit exploitable économiquement sur le marché mondial». Et l’Anvredet, dans sa structure, avait, selon lui, la même vocation que l’ancienne Agence nationale de valorisation de la recherche (ANVAR) française qui est devenue OSEO, puis purement une banque pour l’investissement dans l’innovation (BPI).
Azzedine Bahou, qui expose avec beaucoup d’humilité et surtout de retenue quand il s’agit d’évoquer son expérience en Algé-rie où le climat n’est pas aussi propice qu’on le pense à l’innovation et à l’acte d’entreprendre, sait exactement ce que veut dire être un binational quand il s’agit de passer à l’acte d’investir. Cet autre Algérien établi depuis peu à Marseille a été amené à quitter le pays pour voir son projet se réaliser.
Diplômé en informatique de l’université de Bab Ezzouar en 2000, Fouad Abrouk, cet ingénieur informaticien a terminé son cursus universitaire avec des idées plein la tête. En 2003, il se lance alors dans les services comme fournisseur d’accès à l’internet. Il présenta d’abord un projet à l’Ansej, mais ne réussira jamais à obtenir le financement. Fouad Abrouk a buté sur un mur d’incompréhension. L’Agence qui finançait pourtant généreusement les projets concernant les transports des voyageurs ne voyait pas l’intérêt d’une startup dans les services. Il grignota alors les économies de ses parents pour créer son entreprise.
Combien d’ingénieurs informaticiens comme lui ont été laissés-pour-compte ? Fouad Abrouk, qui est un véritable porteur de projet, travaillera pendant des années comme consultant indépendant auprès des concessionnaires automobiles en Algérie. Il se frayera, dans un climat peu clément et petit à petit son chemin. Cet innovateur a mis en place un logiciel destiné aux entreprises opérant dans le secteur de la distribution. «J’ai ouvert mon entreprise en 2010», affirme Fouad, qui a réussi à vendre son application au Maroc pour la première fois en 2009.
Réalisant un chiffre d’affaires de 37 millions de dinars, l’information de l’UTRHB qui se dit fier d’être de cette lignée de diplômés algériens qui n’ont rien à envier à ceux qui sont formés dans les universités européennes, s’imposera en un temps record avec son application dans le domaine du suivi de l’activité commerciale et logistique des concessionnaires automobiles. Sauf que les belles idées arrivent rarement à survivre dans un environnement parsemé d’embûches.
Dans un contexte difficile, Fouad Abrouk décide de faire alors ses valises et s’installe à Marseille où il a pu redonner vie à son projet. Son entreprise est aujourd’hui florissante. Il en a même créé une autre en Irlande. L’ingénieur de Bab Ezzouar a conquis 12 pays et 3 territoires d’outre-mer avec un carnet de commande dans 8 pays supplémentaires. «On m’a proposé d’aller m’installer au Maroc, mais moi je préfère mon pays», confie-t-il. Son rêve aujourd’hui est de monter son business en Algérie. Et il entend bien le faire, même s’il n’est pas totalement «rassuré». Ce n’est jamais facile d’investir en Algérie.
L’expérience de Louisa Sidi Haket, entrepreneure issue de la diaspora algérienne, est riche en enseignements sur la difficulté d’entreprendre en Algérie. Son témoignage est poignant. Agricultrice dans la culture du safran, l’entrepreneure cite le problème de l’accès au foncier. «Je ne connaissais rien au climat des affaires locales ni aux procédures en vigueur et il me fallait courir d’un guichet à un autre», raconte-t-elle.
«Je n’ai d’ailleurs pu obtenir mes hectares de terre agricole que cette année, (en 2013), alors que j’ai commencé à entreprendre les démarches depuis 4 ans», a-t-elle affirmé. Louisa Sidi Haket parle d’un véritable parcours du combattant où il est facile d’être découragé. Il est donc indispensable de croire en son projet car, disent les concernés, entreprendre au Maghreb n’est pas une mince affaire.
Ils sont des dizaines, ces Algériens de la diaspora qui attendent à ce qu’on leur facilite l’acte d’investir dans leur propre pays. Les créneaux dans lesquels ils veulent investir ne peuvent qu’apporter un plus pour une économie prisonnière de la rente pétrolière et dont elle n’arrive pas à en sortir. Ils veulent investir dans l’industrie de l’emballage, dans le recyclage des déchets organiques, dans l’agriculture bio, dans la chimie et dans le secteur des services, pour ne citer que ceux-là.